Le Basilic, n°73 septembre 2022 – Serge Bonnery
Un conte biographique
Rien n’échappe aux sens de l’homme. Même la révolution est affaire de goût. Jacques Stephen Alexis, né le 22 avril 1922 en Haïti, médecin de formation, écrivain et militant politique, est issu d’une lignée de libérateurs, descendant direct de Jean-Jacques Dessalines, père de l’indépendance haïtienne de 1804. Lors d’un long exil en France, entre 1946 et 1954, il participe aux activités des jeunesses communistes, adhère au Parti en 1949. Il sera membre du Comité national des écrivains et participera en 1956 au premier Congrès des écrivains et artistes noirs. De retour en Haïti, il fonde en 1959 le Parti d’entente populaire qui se donne pour horizon la libération du peuple haïtien. Il disparaît en avril 1961, probablement sous la torture des tontons macoutes du dictateur François Duvalier. Jacques Stephen Alexis fut une figure majeure de l’intellectuel-résistant dont Michel Séonnet retrace l’itinéraire dans un livre écrit au début des années 80 à la demande d’Armand Gatti et réédité aujourd’hui dans la collection « Bio » avec des dessins d’Ernest Pignon-Ernest et des gravures sur bois de Ronald Curchod.
Partir? Rester? La question de l’exil sera centrale dans la réflexion de Jacques Stephen Alexis: «Ce qu’il faut faire, c’est balayer notre maison, l’arranger, mettre de la propreté partout», écrit-il, affirmant sa volonté de combattre de l’intérieur la dictature de Duvalier. Mais c’est à Paris que le jeune étudiant forge sa culture littéraire et militante, au contact des intellectuels de son temps, entre autres Senghor, Césaire, Neruda et Aragon dont la rencontre s’avère décisive.
De retour à la «maison», Jacques Stephen Alexis se définit comme «un combattant de la culture». Le réalisme merveilleux, qu’il théorise dans un texte de 1956, sera sa marque de fabrique, celle qui le distingue de ses camarades arrimés au matérialisme strict d’une culture occidentale qui demande à être dépassée. Il s’agit, pour l’écrivain haïtien, de tendre vers «la plus exacte représentation sensuelle de la réalité». Il veut un art qui «amène toujours à l’homme, à la lutte, à l’espoir», un art qui conduise l’individu jusqu’aux «rivages lunaires de la belle amour humaine». Un humanisme en somme: «Nous intellectuels (…) essayons de rendre notre humanisme plus profond en nous-mêmes, un peu plus vivant, un peu plus quotidien, un peu plus agissant». Et si cet art doit «transformer le monde», il est aussi l’outil qui doit permettre à l’homme libéré d’atteindre sa plénitude, répondant ainsi «au goût persistant des haïtiens pour un monde meilleur», «ce goût en bouche qui s’obstine à ne pas disparaître».
L’œuvre de Jacques Stephen Alexis tient en trois romans et un cycle de contes publiés aux éditions Gallimard. Il fallait un livre retraçant sa vie d’écriture et de combats pour raviver la mémoire d’un écrivain révolutionnaire de premier plan. Michel Séonnet s’y attache en se glissant dans la voix d’un griot, racontant l’histoire à la manière de ces conteurs africains attachés au merveilleux. Cette vie de Jacques Stephen Alexis se lit comme un romancero. Et surtout, c’est à travers ses propres textes, abondamment cités, que l’on pénètre la langue solaire de Jacques Stephen Alexis. Et nous cheminons, émerveillés, dans les mots de ses livres qui sont comme son ombre portée jusqu’à nous.
Serge Bonnery
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