Hommage à Yves Bical

Nous avons appris le décès d’Yves Bical, le 1er mars. Devenu depuis quelques années ami parmi les éditeurs avec qui nous aimons collaborer, nous étions inquiets devant la progression de sa maladie et admiratifs du courage avec lequel lui et Cristine Debras, sa compagne, l’affrontaient. Nous leur fûmes infiniment reconnaissants d’avoir répondu positivement à notre invitation aux Voix du Basilic de septembre 2021 à Coaraze. Nous nous sommes adaptés, eux et nous, au handicap de la fatigue afin que les moments de rencontre avec le public puissent être malgré tout, plaisir simple dans le dialogue et dans l’écoute.
Yves était radieux, comme en témoigne cette photo… il s’est donné, encore une fois, entièrement.

Nous avons découvert ce jour-là son parcours aux multiples chemins de traverse animés fidèlement de la même énergie aimante, curieuse, exigeante et volontaire. Engagé depuis sa jeunesse dans les mouvements d’éducation populaire, il a œuvré toute sa vie pour que rayonnent l’art et la culture.
Tel un oiseau aux branches de ses dérives*, il fut comédien sur scène, acteur au cinéma, galeriste, conférencier, commissaire d’exposition, organisateur de rencontres littéraires (au Coin de la rue de l’enfer… ça ne s’invente pas !), poète et enfin… éditeur.
Nous avons ri au récit de son tournage avec Delphine Seyrig, nous avons aimé entendre qu’il fut le premier à porter à la scène un texte de Bernard Noël, Les Premiers Mots, mais aussi Francis Ponge, Rutebœuf, Pasolini, Voltaire, Brecht, Rimbaud et Verlaine, Maïakovski, Antonin Artaud, Louise Michel… et bien d’autres. Modestement, il avait laissé ses propres livres sur la table de présentation, nous ne les avons pas entendus cette fois, mais avons pu longuement les feuilleter.
Le public a découvert ici le dernier livre publié par Artgo & Cie, sa maison d’édition créée et animée avec Cristine Debras; Un toucher aérien, livre magnifique, qui nous donne à caresser la cime des arbres dessinés par Bernard Moninot dans le souffle des proses poétiques de Bernard Noël.

*in – L’oiseau les murs, Yves Bical, éd. Au coin de la rue de l’enfer, 2010

ARTGO & Cie

Dans le Basilic N°64 de décembre 2019, Alain Freixe présentait ainsi la maison d’édition ARTGO :

Entre Belgique et Haute-Provence, entre Bruxelles (1988) et Saint-Étienne-les-Orgues (2007), Yves Bical et Cristine Debras, venus respectivement des milieux du théâtre et de l’art contemporain, ont installé au coin de la rue de l’enfer – la belle adresse! – l’association ARTGO & Cie.

L’association ARTGO se donne un double objectif. D’abord provoquer des rencontres entre écrivains et artistes, musiciens, scientifiques ; ensuite, partager une réflexion sur toutes les questions concernant la création et la diffusion aujourd’hui, bref interroger toute écriture du sens quand le sens est, par delà les significations, cette direction qui fait signe vers ce dehors où se tient ce qui trouve à éclairer la part inconnue de nous, des autres et du monde. C’est ainsi qu’ARTGO organise depuis 2011 “Les Rencontres littéraires en Haute-Provence” qui sont l’occasion d’expositions, de lectures, de colloques autour de l’œuvre d’un écrivain ou d’un thème littéraire historique. C’est ainsi également qu’elle développe une riche et originale activité éditoriale cherchant toujours à lier littérature et art jusque dans l’expression singu­lière du livre d’artiste. À ce jour, plus d’une centaine d’ouvrages sont au catalogue – Rendez-vous sur aucoindelaruedelenfer.com pour en savoir plus.
Ils se répartissent en plusieurs collections parmi lesquelles je cite­rais celles de “Petits Plaisirs” (collection de livres d’artiste), celle des “Actes des rencon­tres littéraires” (Michel Butor, Bernard Noël, Jean Ristat) ; celle d’“Entretiens et ima­ges” (Éric Clemens, Robert Brandy, Paul Louis Rossi…) et, bien sûr, principa­lement “Au coin de la rue de l’enfer” qui compte une bonne vingtaine de titres d’auteurs tels que Julien Blaine, Jacques Sojcher, Jean-Marie Gleize, Michel Butor, Jean-Luc Parant, Jean Ristat…
L’originalité de cette collection tient au fait que se trouve associé au livre un CD dans lequel le texte publié est lu avec toujours une belle présence par Monique Dorsel.
C’est le cas notamment d’Une rupture en soi suivi de L’Écriture du corps de Bernard Noël publié en 2011 avec une couverture dessinée par Agathe Larpent.
Dans le premier texte, Bernard Noël instaure un dialogue entre “celui-que-je-suis” et “celui-que-je-veux-être” et à cette occasion se trouve fondé le projet “d’épuiser tour à tour afin de faire suer à chacun son “personnel”, tous les pronoms personnels tant ils sont “affectés (infestés) de ce qualificatif”. Ce sera alors la série des 8 monologues, récits qui figurent dans La Comédie intime (éd. P.O.L, 2015).
Dans le second, Bernard Noël revient sur cette question du corps, sur “cette situation qui réduit le corps à être le lieu sans lieu de mes représentations, y compris de la sienne”. “J’ai beau ramener l’expression verbale, écrit-il, à une sorte de suintement organique, cela ne l’empêche pas, dès que son émanation s’élève, de transformer l’espace intime où elle surgit en hors lieu”. Écrire, dès lors, sera s’insurger de manière désespérée mais endurante contre cette vaporisation du corps dans le mental. C’est dans cet acte même de soulèvement qu’on peut voir s’opérer son retour quand s’ouvre “au fond de lui la bouche par laquelle remonte le langage”. Alors depuis les arrières, depuis l’oublié – cet arrière du souvenir – surgissent ces figures que la main qui écrit laisse passer jusqu’aux rivages de la lumière, main heureuse qui va légère car alors “celui qui écrit sent qu’il écrit : son corps est silencieux…”.

Association Artgo & Cie
Place pasteur
04230 – Saint-Étienne-les-Orgues 04 92 73 06 75