Elle, au loin

Il ne dort plus que quelques rares heures au plus profond de la nuit ou dans la clarté du matin, il ne répond plus au téléphone, ne relève plus son courrier, ne sort que pour de légères provisions et pour marcher au bord de la Seine. Il suit les quais et descend avec le fleuve, sourd à l’ample rumeur, aveugle à la vie qui y stationne, indifférent à la curiosité des touristes dans les bateaux-mouches, aux pique-niques improvisés du soir, aux gens qui courent, aux corps presque dénudés offerts au soleil d’août, aux étreintes. Il est dans l’eau sale qui descend vers la mer. Avec elle, il passe sous les ponts. Le Pont-Neuf, le Pont des Arts, le Pont du Carrousel.
La mer. Lor en ce moment, sur une plage baignée par la Manche ou l’Atlantique ou la Méditerranée ou d’autres eaux. Où ? Lui, il est cette eau chargée qui descend doucement se mêler aux eaux froides de la Manche. Son esprit vagabonde. Il est dans la mer grise et, c’est une évidence, soudain il voit Lor lutter contre le vent quelque part sur une côte anglaise.
Le lendemain, il revient au bord du fleuve, il voudrait le descendre en précipitant le courant afin de la rejoindre, là-bas, au plus vite.
Un matin, après s’être éveillé dans un rêve prégnant dont il a du mal à se dégager, il se dirige vers son portable et il ouvre mécaniquement sa boîte. Son regard balaie rapidement la liste des messages non lus.
Il néglige ceux sans importance et, depuis quelque temps, fait glisser dans cette catégorie nombre de ceux qu’il lisait auparavant avec intérêt. Ainsi ceux de Gladys qu’il n’a pas ouverts et ceux qu’il a supprimés. Aujourd’hui, comme hier, comme avant-hier, il y en a un. Il le garde, il le lira plus tard. Un autre de son frère s’ajoute à ceux à lire, un autre, et encore un. Un message de l’ami Yann et aussi de Mika et aussi de.
Il n’y a plus que lui. Il n’y a plus qu’elle.
Re: Écho. En ouvrant, que va-t-il trouver? L’espoir d’une rencontre, un aveu, des mots stériles ou des paroles fécondes? Lui dit-elle à nouveau qu’il est l’espéré en le laissant pantelant d’attente vaine? Quels signes lui envoie-t-elle?
Il s’éloigne de l’écran, prend son paquet de cigarettes et descend. Il veut soudain respirer la ville, gonfler ses poumons d’air vicié, entrer dans le flux des mouvements, se fondre en eux, marcher à grands pas, traverser des rues sans prêter attention à la circulation, subir l’agression des invectives et des klaxons. Il veut déclencher réactions et brutalité. Il a besoin de heurts avec le monde, d’éclats. Il veut se battre. Ainsi il se lira dans le regard des autres. Qu’un ciel noir et lourd s’écrase sur la ville et que cette dernière se déchaîne dans un tonnerre d’explosions.