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Et n'oublie pas la lumière avant de…
d'Alain Guillard
par Françoise Oriot pour la Gazette Basilic de mai 2020
Où s’abreuver quand manque le désir premier, le désir de vivre ? Pour Pierre Sannon (sans nom ?), le personnage principal du récit d’Alain Guillard Et n’oublie pas la lumière avant de…, le premier refuge sera l’alcool. Un univers que ceux qui n’y vivent pas jugent violent, avec ses accidents, ses rechutes, ses vies écourtées, mais qui ouvre à Pierre, dans la pénombre fraîche d’un bar, l’état de paix que l’alcool permettait d’atteindre, nettoyant de toute énergie, tout désir. La fragilité vient de l’enfance, de la mésentente des parents, de leur divorce. Sans répit montent les images, les scènes douloureuses, les disparus (frère, parents, tante et grand-mère), les amis turfistes, les séjours à l’hôpital, les rencontres amoureuses, sexuelles. Pierre ressasse, il aime à se rappeler. Ainsi, la vie ne l’effrayait plus ; enfermée, ficelée dans l’enclos de sa mémoire, elle ne risquait de surprendre sa vigilance, de se frayer un passage à son cœur. L’alcool anesthésie, console, autorise le rire tranquille de la vie, heures coulées à l’abri de la vie.
En contrepoint de ces réminiscences, les essais d’élucidation de Pierre : fragments de dialogues avec ses médecins, lettres d’amies ou pages recopiées de son carnet. Ce qui a été, ce qui aurait pu être.
Pierre se cherche, cherche également ce désir de vivre qui si souvent lui échappe, s’aperçoit qu’un désir différent peut émouvoir violemment son être fluctuant : le désir sexuel qui fait du ventre des femmes et des hommes une autre source où s’abreuver. Ses amoureuses, ses amants furtifs, ses pratiques de soumission liées à celle du travestissement, ces preuves de son indistinction sexuelle associée, selon le psy, à ses parents, si elles ne restaurent pas la permanence de l’être, sont jouissances fortes, parfois plénitudes.
Entre Georges Bataille et Hubert Selby Jr, se raconte, chaotiquement, la vie privée de direction d’un homme auquel le poète Alain Guillard prête son extrême sensibilité aux variations de lumière, présence d’oiseaux, feuillages, atmosphère des rues, des champs de courses… Une attention intense au monde et aux êtres qui explique l’incapacité de Pierre à apprendre à se défendre, à se cuirasser, à se protéger, à satisfaire sa soif. Cette errance est écrite dans une langue saccadée, au fil d’une partition rythmée de phrases interrompues, de mots en italique qui sont comme des accords plaqués. On croit entendre le solo d’un saxophone échappé du Charlie Birdy qui finirait par porter Pierre vivement sous la pluie. Joyeux de cette pluie sur lui. Gamin sur des chemins de vacances.
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