Extrait
Il faut s’imaginer une chambre d’hôtel. La lumière est douce. Les corps parlent de nudité mais ils continuent de parler de leur désir de ne pas courir au désir. Il faut s’imaginer que la cigarette que l’on fume à la fenêtre de la chambre de l’hôtel est déjà une luciole. […]
Ces deux-là n’ont rien inventé. Il y a certains écoliers que tout arrête. Des écoliers qui cherchent à dévisager le désir. Personne ne doit savoir. Ceux dont je parle ici ne voulurent rien concéder à la fin du hasard. […]
Plus qu’à la sobre écriture à deux mains, plus qu’à l’orchestration d’un piano à quatre mains, nous devons penser à ces duels d’improvisateurs jazz qui, eux aussi, s’en prennent à des Standards. […] Serge Cassini (extraits de la préface)
Le Livre de brouillon est l’histoire d’un amour. Banal va-t-on nous dire et pourtant… On sera surpris d’ouvrir le livre sur un lieu encore inexploré. Il faut remonter loin en soi-même pour retrouver ce lieu cristallin de l’amour naissant, un lieu où tout est à fleur de peau et de plume, le point tangent où l’amour se pose sur les lèvres du désir, un lieu que l’écriture, jusqu’à présent, n’a visité que dans le souvenir, lorsque le désir d’écrire n’est plus que le succédané du désir charnel. Ici en revanche, tout se joue en temps réel devant nos yeux, dans la fulgurance argentine des voix sonores et l’on oublie l’impudeur à suivre le passage de ce brûlant cahier d’écolier, ce Livre de brouillon qui navigue d’elle à lui, de lui à elle, d’une main à l’autre des deux amants que l’on reconnaîtra en chacun de nous, c’est-à-dire toi et moi, nous qui sommes parcourus du désir de ne rien voir pâlir.
La dédicace de l’auteur
Il m’est arrivé de sourire en surprenant dans un café quelques mots sucrés que s’envoient derrière moi deux amants fraîchement tombés du lit. Ces amants, vous les connaissez aussi bien que moi. Lui, pourrait être en train de dissoudre deux sucres dans son café, elle, pourrait par exemple préférer le thé nature. Ils auraient l’air de s’aimer, ils seraient tendus l’un vers l’autre, ils se le diraient. On sourit. On sourit parce qu’on oublie trop souvent ce qui se joue derrière ces mots, ce qui se joue dans ces cafés. On sourit parce qu’on ne sait plus lire dans les marcs. Les deux amants du Livre de brouillon ne sourient pas, ils pourraient être de ceux-là. Ils sont de ces amants d’hôtels et de cafés. Ils empruntent les mêmes gestes, les mêmes regards entre-filés, le même café, le même thé. Mais nos amants ont bien compris qu’ils jouaient une partition écrite d’avant Noé. Ils ferment les yeux jusqu’au jour où ils découvrent, dans le jardin d’un hôtel, qu’ils partagent un petit don en apparence inutile : ils ressuscitent les lucioles. Dès lors, parce qu’ils se sentent différents, parce qu’ils se croient investis d’une mission, ils décident d’enregistrer les moments fatalement uniques de leur amour dans la langue des rédempteurs de lucioles. Ils écrivent parce qu’ils savent qu’il n’y a pas de parole supportable en amour. Ils choisissent pour donner corps à leurs ondes un petit cahier d’écolier pour dire leur “je t’aime” qu’ils ne disent pas comme nous parce qu’ils savent que l’écriture est encore la forme la plus pure de la trahison amoureuse. “Je t’aime les crécelles de voyage” écrit l’un. Elle répond : “Tu t’évapores d’ailes”. Je ne souris plus en entendant les mots sucrés des amants dans les cafés. Ces amants-là ont ressuscité mes plus intimes lucioles.
Avis
Il n'y a pas encore d'avis.