Point de suspension

8,50 8,07


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Gaza et la nécessité de dire. Deux voix, Olivia et Michaël, écrivent au quotidien depuis leur douleur. Écrire ne console pas, ils le savent, mais aide à penser ce qui surgit de la folie des événements. Ils ne se connaissent pas. L’éditeur les invite à se rencontrer sur la rive qui leur est commune : le livre.

Format 10 x 20 centimètres
Pages 80
Image de couverture Armand Darmet
Collection “ Livrets ”
Prix 8,50 €  8,07 €
(remise 5% liée à la vente en ligne)

Catégorie :

Extrait

…Point de suspension. Pas de trêve au feu. Bien sûr il y a le temps et ses traces; dites et contredites. Bien sûr les récits et les croyances; elles aussi dites et contredites. Mais toujours ce fléau: ici et là, présentement en Palestine, des prédateurs «civilisés» convoitent les terres où tentent de pourvoir à leur subsistance des peuples inaptes à la soumission et peu enclins à l’économie de marché; donc nécessairement «barbares». Toujours ce fléau de la balance dont le Point de suspension, pourtant rigoureusement équidistant de ses extrémités, accuse le poids d’une multitude de victimes innocentes et penche toujours du même côté. Points de suspension pour embrasser la parole car celle-ci vient de la nuit des temps et se poursuit sans fin dans la lucidité du désespoir…

OLIVIA ELIAS

Jour 21, 28 octobre

Les mots sont trop pauvres

les mots sont trop pauvres    mais n’ai qu’eux
ma seule richesse

mes mains sont vides
& si grandes les souffrances

de nouveau   j’enserre ma poitrine de mes bras
de nouveau   je renoue avec cette habitude
ancienne
de gribouiller de petits carrés que je remplis
à l’encre noire

petits carrés de notre effacement

J’écris ce que je vois    disait Etel Adnan
qui en savait beaucoup
sur la force des montagnes & la Catastrophe
je connais aussi la puissance de ce Mont
qui regarde la mer
Carmel de ma toute petite enfance
Mont Fuji de l’absence & du déni au-dessus
les grands corbeaux noirs de la désolation

comme je connais tout de notre Apocalypse
un passé qui n’en finit pas de se répéter
la terre qui pivote sur son axe
le soleil qui se voile la face

voici ce que je vois

folie de l’État Occupant surarmé
écrabouillant
corps & âmes jusqu’à ce que tombe la nuit
une nuit de fin du monde
seulement percée de lueurs balistiques

hier à Sabra & Chatila
les projecteurs éclairaient
   la scène du massacre
aujourd’hui dans cette étroite bande de sable
   la noirceur protège l’Horreur

le ciel se fracasse en mille morceaux
au milieu de monstrueux champignons
de fumée noire
le temps de compter un deux trois les tours
s’effondrent comme dans un jeu
de quilles   leurs habitants dedans   puis
c’est au tour des tanks de plusieurs tonnes
d’entrer en action

aplanir le paysage   disent-ils

chacun se demande Quand est-ce que mon
tour viendra?
& les parents inscrivent le nom de leurs
enfants
sur leur petit poignet ou leur cheville
pour les identifier
(au cas où)

ni eau   ni nourriture   ni carburant & électricité
& ni médicament
a ordonné le chef du Gouvernement
d’Annexion

en finir une fois pour toutes & pour toujours
ils vocifèrent forts de l’appui de ceux-là
premiers responsables de notre sort pour
l’avoir passé
par Pertes & profits sur l’échiquier sanglant
de leurs intérêts bien compris

comme si leur contribution à notre effacement
valait dédouanement de leurs crimes

Oyez Oyez
clame grand Chef d’Amérique agitant son
hochet-droit-de-veto
Sécurité absolue pour les Conquérants
Oyez Oyez
entonnent en chœur les Alliés puissants
2,3 millions d’hommes & femmes la moitié
des enfants affamés déshydratés blessés cher –
chant désespérément à sauver leurs proches
qui se meurent sous les gravats

& la Mort la grande gagnante

ils devraient savoir que l’on ne
peut emprisonner les âmes aussi serrée
soit la corde autour du cou
& fortes les pluies phosphoriques
& les tempêtes de feu

Un jour pourtant, un jour viendra
couleur d’orange…/
un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

où nous nous assiérons
à la place laissée vide à notre nom
dans la grande Maison humaine

MICHAËL GLÜCK

… du temps que nous étions poissons, nous n’étions pas et avant avant l’habitacle était feu, flammes, explosions, puis eau, bien plus tard, après le feu couvé, avant la terre soulevée, avant montagnes et montagnes érodées,  le grand rabot des ères, de ce temps quand nul ne connaissait la nature des choses, parce que nul n’était, ô cœur en esse (cœur en liesse) pour accrocher, hameçonner le monde et n’étaient pas alors, non plus, les connaissants, les pas encore sapiens, les ancêtres incertains, les aïeules sombres des vallées, qui allaitaient, allaient, marchaient, portant les enfants exondés dans leur marche qui rythmait la berceuse; matière matricielle…

*

…avant que ne passassent les eaux sous les ponts, il fallut les bâtir, il fallut que fût bâtie, très tardivement, l’espèce humaine, il fallut que les animaux, quadrupèdes d’abord, s’élevassent au-dessus du sol, s’érigeassent dans la verticale des arbres afin qu’ils pussent porter leurs fruits à la bouche, pour que naquît aussi le fruit de la langue, il en fallut des ères et des errances, des paysages noués sur eux- mêmes, des esquisses, des ébauches, des épreuves et des monstres qu’aucun index ne pointait comme tel, un monde avant la désignation, avant la nomination, avant l’infini expansé de la beauté des infinitifs, parler, dire, écrire, itérer, initier, commencer…

*

…les oliviers ne donneront rien cette année, les oliviers ne sont plus des oliviers, ils sont reliques pour les charbonniers, stères des gagne-peu ou bien souvenirs d’ombres; nos ombres mangeront-elles, il n’y a plus de blés, il n’y aura pas de pain; restent quelques comptines pour tromper la faim; je n’ai rien vu, je n’ai pas besoin d’un déferlement d’images pour savoir; nul ne mettrait le feu à ses champs de blé, à ses oliveraies; je sais qui tient mal sur ses jambes, qui titube en marchant par manque de nourriture, par impossibilité de se désaltérer, je sais qui chemine entre vie et caricature de vie, faux-semblant, entre humain et inhumain, qui cherche dans une poubelle de quoi compléter le peu qui a été trouvé dans une autre poubelle, qui cherche aussi quelques vêtements, fussent-ils lambeaux usés jusqu’à la trame parce que lambeaux plus lambeaux qui sait, cela peut faire patchwork pour une couverture sous laquelle poser la défaite; qui chemine cherche une frontière, un pont dans le désert, une main désarmée…

*

…il n’y a pas de crimes de guerres, la guerre est un crime, toute guerre est exterminatrice, éradicatrice; chimie, horreur, anéantissement par la faim; on ne meurt pas de faim, on meurt affamé; dans les champs et les vergers ont été déposées des mines; et l’épandage d’insecticides, les humains, on le sait, sont des insectes; les humains sont des nuisibles; dites, vous n’auriez pas un peu de joie, et même un peu d’espérance à nous donner, voire à nous rendre; vous n’auriez pas un peu d’illusions; des petites proses, fussent-elles poétiques, c’est tout de même pas ça qui; à défaut vous n’auriez pas un petit euphorisant, une bouteille de vin, un verre de vodka ou de rhum; vous n’auriez pas un peu de morphine pour calmer la douleur; quelle douleur, vous osez demander quelle douleur; ou l’effroi; l’horrible effroi, les draps humides, on ne sait si de sang ou de sueur, sans doute des deux, avec la cendre qui colle au corps, la cendre qui pèse si lourd, si lourd sur les paupières; quelle est l’espérance de vie d’un nouveau-né, est-elle plus grande que celle d’un vieillard; dites, vous n’auriez pas, pour manger ou pour boire, quelques pièces; c’est quoi la monnaie des morts…

 

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Spécifications

Poids78 g
EAN

9782364180697

ISSN

en cours

Collection

Livrets

Format

10 x 20 cm

Pages

80

Prix

8,50

Dépôt légal

2ème Trimestre 2024

Auteur

Michaël Glück,

Olivia Elias

Editeur

L'Amourier éditions