Extrait
Ainsi se souvient la narratrice: Ma grand-mère disait “ça fera un déjeuner de soleil” pour le linge mis à sécher l’été en plein midi. Le soleil mangeait toute la couleur, les robes perdaient leur éclat. Ce qu’on appelle faner, flétrir. De quelle étoffe suis-je faite? et quel soleil s’est nourri de mon âme? N’ai-je été qu’un déjeuner de soleil pour toi? (…)
Sophie V. –
Un fantôme a pendu à la corde sa chemise immaculée et tu en as fait une « hantologie » de poésie.
Tu as répondu à l’invite en prenant ton crayon blanc couleur chemise et en traçant sur les pages ombres un labyrinthe à découper. Tout le trop brillant et tombé à tes pieds. C’est le sésame d’entrée en crypte – ne pas être ébloui. La tâche aveugle devient alors l’œil d’un oiseau qui trouve, léger, son chemin.
Pas de déni, pas de folie, tu as la main sûre dans la découpe du papier, qui laisse les mots se balancer au gré des jours que tu crées. Une dentelle dépliée, pour notre plus grand bonheur, me ramène enfant émerveillée à regarder ce que les ciseaux ont laissé dans la page blanche pliée, découpée puis déployée.
Le miroir est traversé. Nous voici en poésie. Le regard comme une nouvelle chance traverse la peau, la paroi, l’histoire pour jouer avec la fibre.
La chemise de coton est devenue de soie et l’on suit le fil dévidé.
Pas de risque de se perdre, mais plutôt de se trouver.
Petit poucet, droite dans tes bottes, tu égrènes les mots sur la corde, bien cousus pour pouvoir les laisser flotter librement, drapeaux tibétains de prière qui claquent au ciel et que ton art exhausse.
Nous ne sommes plus hantés, mais poudrés de lumière pour un déjeuner de soleil où l’on gagne en vie.