Revue de presse “Qui vient"


Revue Cairn
– Patrick Joquel

Alain Freixe poursuit sa quête de l’insaisissable, de ce qui échappe, de ce «ce que l’homme a cru voir» à travers un long poème qui ouvre ce livre «dans l’appel du nom». On ne sait rien de ce nom qui résiste à l’écriture, qui se dérobe et dont on poursuit vers après vers, strophe après strophe, l’ombre. Une inlassable quête, têtue et régulière. Sans rage mais avec l’obstination du scribe.
ainsi passe le nom dans le vent implacable d’un regard d’ange
parfum et musique voix silencieuse
des poèmes qui jouent sur l’instant, l’instant du silence ou le silence de l’instant. Ces petits riens du monde. Cette évanescence. Cet insaisissable toujours.

*
Si peu de chose

derrière le noir laiteux de l’aube les étoiles bercent ce qui reste
d’endormi

dans mes yeux

rien que du vent entre la nuit

qui finit

et le matin

qui s’éloigne

rien que du temps pour tenir

la main des paupières et effleuri le regard dans un silence
de passerelle délabrée

rien que du vent

et ses fleurs

dans les feuilles

de l’olivier de bohême pour donner au ciel

le gris qui éclate

dans les braises

rien que tu temps

pour nouer aux pieds

ce rien de lumières

dont les fleurs

comme rouillées de brume

tintaient à l’envers

de la mort


*


Des poèmes de randonneur. Le marcheur à l’affût de la crête, là où tout bascule et où le ciel se découvre, immense et à peine souligné d’un vautour ou deux. Des poèmes au pas de l’arpenteur du monde, toujours en questionnement, toujours en émerveillement, en quête de l’insaisissable instant poésie. À chuchoter lentement, pour se laisser prendre par la main et suivre de cairns en cairns le sentier. Alain Freixe, homme de montagnes : Canigou, Mercantour, marche avec les saisons. Avec le temps, ses traces d’oubli en suspension comme sa fuite entre les doigts du sable ; avec le temps météorologique et ses orages, ses flocons. Alain est un de ces rares auteurs à s’aventurer dans la neige, à tremper son regard et son clavier dans la neige et à nous offrir ainsi des mots silencieux, des mots immenses et des silences que traversent parfois une trace de blanchon ou d’hermine. Personnellement, lire Freixe m’aère autant qu’il me questionne ; avec lui, je me tiens au dehors, ouvert au monde et à l’affût.


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Revue Phœnix – Michel Ménaché

Poète randonneur, Alain Freixe fait corps avec les paysages de montagne qu’il traverse et gravit. Dans Qui vient, son dernier recueil, il restitue ce qui advient, en ces poèmes plusieurs fois partagés antérieurement avec ses amis plasticiens qui contribuent, hors commerce, à mettre en mouvement formes et couleurs nées de leur lecture silencieuse. C’est sur L’appel du nom que s’ouvre ce recueil, titre qui fait écho à un aphorisme d’Edmond Jabès, en exergue: «Celui qui connaît mon nom me le révèle à moi-même». C’est dire que ce livre est une quête de soi, de joie reconquise, «au dépourvu». Rapport au monde intensément relié à la lumière et au vent, aux éclairs et aux souffles primordiaux: «Ainsi passe le nom / dans le vent implacable / d’un regard d’ange.» S’il est encore un mal du siècle comme pouvait l’écrire Musset deux cents ans auparavant, c’est, ici et maintenant, la nature tout entière et les hommes qui en sont secoués: «le présent va nu-pieds / et en haillons…»; et plus loin: «c’est comme si on marchait / en bordure d’un précipice / sans main courante». Y aurait-il d’autre issue que l’infini du regard, parmi les ombres, à l’orée d’un possible hiver nucléaire? – «quel jour trouverait / à rajeunir / notre âme engluée / dans ce grand ciel d’hiver / où s’est pris le monde.»

Dans le silence des crêtes, le grimpeur se repère, arpenteur de lui-même et de ses souvenirs: «monter dans l’implacable / du jour et tirer / son ombre / dans les ruines / d’anciens chemins / jusqu’à oublier / à force de nuages / défaites et capitulations // à mi-pente / sur la pierre d’attente / d’un sourire / poser son désir / de gravir à vif / dans le bleu / qui passe au large / porté par le plané / des grands vautours». Car il s’agit là, superbe envolée, de « voir le vertige / prendre barre sur l’œil / tourner sa flamme / et son bruit de faux / sur les derniers pas.» C’est un regard plein de nostalgie que pose le poète sur les sites qu’il connaît et redécouvre d’un regard neuf. Alors s’impose le Retour à la forge: «J’écrivais / et c’était comme si le soleil / poussait aux quatre feux / du jour.»

Les proses de Seul le présent, écrites pendant les poussées de la pandémie, suivant le sac et ressac des confinements successifs, sont placées en dernière partie du recueil. Le silence des monts ne dissipe pas la hantise des disparitions, la mémoire blessée de l’absence: «Tout est si calme que l’on a peur de voir mourir les heures.» Plus précisément, la peur de l’effacement: «L’horloge est sans fond. Les jours se ressemblent […] L’ombre dissout les pierres. La peur seule traverse nos mains à l’instant de sortir.» Le poète des rocailles rêve et souffre «d’ailleurs inaccessibles». Les paysages marins apparaissent, disparaissent: «J’ai changé d’air. Sous le vent marin, les merles dansent entre figuier et lauriers le ballet de la faim.» L’attrait de la neige est vif, les sommets percent brumes et nuages, le poète tient la pente, retrouve langue et souffle: «Le vent est l’intelligence du Haut-Pays.»

L’esprit du poème éveillé à la lecture des œuvres de Jacques Dupin, René Char, Joé Bousquet, Pierre Reverdy, Yves Bonnefoy, etc. Alain Freixe leur emprunte le meilleur ; il affine sa voix, rejoint en profondeur sa propre lumière: «Reste vigilant. Habille-toi d’oubli et ôte les étoffes qui recouvrent tes miroirs. Il est l’heure de leur prêter ta voix.»

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