Quelque chose du Tennessee 1
Pontiac
Par Béatrice Machet
Ecoutez!
Au loin quelques sirènes et plus près:
le flap flap d’un drapeau étoilé cognant sur le mât planté…
…fondu enchaîné à partir d’une pelouse grande comme un parc entier de nos villes Françaises.
Oiseaux et écureuils sautillent, à terre ou de branches en branches… magnolias sont les espèces les plus représentées, avec les chênes, quelques érables pour la touche rougeoyante dans le décor.
Maintenant la vue s’approche d’immenses baies vitrées hautes comme trois étages de nos immeubles.
Imaginez la caféteria au coeur du campus de l’université Vanderbilt, Nashville Tennessee…, the music city!
Rand Hall une heure de l’après-midi l’heure de pointe… c’est le rush, en toute décontraction, sans marques d’impatience… quelqu’un vous tient même la porte, elle aussi vitrée, vous remerciez et vous entrez…
Brouhaha nasillard… typiquement Américain, le registre sonore change d’échelle ici!
“Hi !What’s up? How are you doing? Nice to meet you"… De buffet en buffet rien ne va plus: faites vos menus. Chinois, Mexicain, salades,… du burritto à la pomme frite y’a de tout mais le plus courant sur les plateaux sont les cheese, king, chicken… burgers… les gens ne conçoivent pas de manger ce qui garnit le pain dans une assiette, assaisonné d’huile d’olive avec quelques feuilles de basilic.
Dans la queue comme prévu, Elsa et Andrea, mes amis Italiens, me désignent la table du fond à gauche près de la terrasse. Y est déjà installé Todd à qui je me présente. Le mot “French" peut avoir des effets magiques qu’il est agréable de vérifier de temps en temps. Todd est ravi de parler à une Française:
— Formidable, tu sais j’ai des ancêtres ayant vécu au Canada qui parlaient Français et qui avaient des origines Françaises. Partis du Québec ils ont passé la frontière et sont restés longtemps dans le nord du pays, à proximité des grands lacs. Plus personne ne parle Français depuis longtemps dans ma famille mais notre arbre généalogique montre bien ces ascendances. Et pour continuer avec l’arbre généalogique, il y a des preuves que j’ai aussi du sang Indien dans les veines, tout blond et visage pâle que j’apparaisse! Je bute en ce moment sur les origines Ojibwa de cette branche Indienne de ma famille. Mais du côté de ma famille paternelle j’ai un document qui enregistre le mariage d’une “soeur" du chef Pontiac à mon ancêtre et qui lie toute la branche de mon grand-grand-grand-oncle à la tribu de cette demoiselle Indienne. Elle aurait vécu dans la bande appelée Sauteuse, au contact des Blancs, pour le commerce et le transport du Rhum.
Temps mort dans la discussion. Elsa et Andrea s’installent; ils ont opté pour des sushis. Andrea explique à Todd qui je suis et mentionne ma passion pour les peuples Indiens, mes traductions… Devant la mine ahurie de Todd je ris et l’encourage à poursuivre son récit:
— Quelle aubaine! Tu vas pouvoir m’aider à mieux connaître cette partie de moi qui souvent se réveille et demande pourquoi-comment… Je ne suis pas romantique, je suis un scientifique, mais cet héritage génétique me turlupine, je ne sais pas expliquer cette attraction, cette force d’appel, j’en souris, c’est troublant sans me pertuber. Figure-toi que mon arrière grand-père a écrit des souvenirs et des traces restent des rencontres des membres de ma famille blanche avec des Indiens. Tu connais ce chef appelé Pontiac?
— Oui, bien sûr, un allié des Français qui a cherché à chasser les Anglais du continent. Je sais qu’il est considéré comme un valeureux guerrier, qu’il y a même une guerre qui porte son nom, qu’il est considéré comme faisant partie de la tribu des Ottawa, qu’il a été assassiné, par un Indien Peoria sans doute payé par les Anglais pour effectuer cette sale besogne.
— J’en sais beaucoup moins que toi mais son nom appararaît dans les annales familiales autour des années 1765. Et cette fois du côté Anglais. Pontiac aurait rencontré des autorités militaires Britaniques qui voulaient, se sachant faibles, devancer les conflits possibles contre une alliance Indienne levée et menée par Pontiac ainsi qu’il l’avait déjà réussie. J’ai conclu après des recherches que mon ancêtre avait assisté à la rencontre entre Pontiac, encore le leader des Ottawa, avec les Anglais, rencontre rendue possible par l’intermédiaire de Sir William Johnson , le superintendant des affaires Indiennes en juillet 1766, dans un lieu nommé Oswego, dans l’actuel état de New York et qui de façon officielle mettait fin aux hostilités.
— Je ne crois pas que tu en saches moins que moi! Continue, je brûle d’impatience de connaître la suite de ton histoire!
— Et bien Pontiac a voulu en mettre plein la vue aux Anglais et il leur a donné toutes les preuves pour qu’ils croient à une réception hors du commun. Et selon les lois de l’hospitalité il convenait à Pontiac de nourrir ses hôtes en grande pompe, avec force démonstration d’abondance et de respect pour le rang et le pouvoir représenté par les Anglais. Ceux-ci semblaient très impressionnés, et il y avait de quoi se trouver dépaysé!
— Oui, j’imagine bien le discours fleuve et lyrique du chef reprenant et remémorant toutes les étapes qui avaient abouti à cette rencontre. Tous les éloges prononcés, tous les faits rapportés, tous les participants évoqués, toutes les analyses de chacune des situations rencontrées, les traductions des interprètes, la solennité et la dignité des Indiens, des heures durant… puis le repas servi, qui lui aussi se devait de durer afin de notifier le grand cas fait de la rencontre, son caractère exceptionnel…
— Exceptionnel c’est bien le terme qui convient! Et donc après tout ce temps, Pontiac s’en vient demander aux gradés et responsables Anglais s’il sont satisfaits et s’ils ont apprécié le repas. Vrai ou pas, ils ne pouvaient pas froisser leurs hôtes, et ils se sont empressés de répondre que oui, ce qui leur avait été servi était délicieux.
— Je sens que la revanche prise par Pontiac arrive ici!
— Tout juste! Mais en quoi consiste-t-elle? Allez chercher bien! Essayer de deviner!
Elsa dit tout de go qu’elle est trop impatiente pour aimer les jeux de devinettes, Andrea garde un air dubitatif et n’ose pas à voix haute raconter ce qu’il imagine de terrible derrière son crâne bien rempli de films Italiens… Quant à moi je ne sais pas quoi envisager … Je ne peux pas penser que les Indiens ont osé une séance de tortures comme parfois ils les pratiquaient avec leurs prisonniers. Aussi macabres et cruels que cela paraisse, il y avait là un enjeu et une dimension spirituelle auxquelles les Anglais n’avaient pas accès…
— Vous n’avez pas d’idée, pas la moindre?
Todd rapproche sa chaise et se tient tout d’un coup assis bien droit, il jubile déjà et n’y tenant plus, plante ses deux coudes sur la table en nous fixant avec intensité:
— Pontiac a répondu qu’il était ravi du plaisir pris par ses hôtes, qu’ils pouvaient eux aussi s’offrir ce festin. Il suffisait de faire cuire quelques Jésuites dans un bouillon de racines et de légumes sauvages faciles à récolter.
Un moment de silence puis Elsa toujours vive et prompte à réagir:
— Waouahhh, du canibalisme! En effet quelle giffle! Quel affront en toute impunité!
— Mais la fin de l’histoire pour Pontiac finit “en exil" dans le Missouri, me sentais-je le devoir de conclure. “Plus ou moins oublié ou bien rejeté des siens (certains pensaient que ses actions de résistance avaient nui à leurs peuples à cause des représailles toujours plus nombreuses lancées par les blancs, militaires ou pas, autorisées ou pas) il avait encore essayé auprès d’autres tribus de convaincre qu’il leur fallait tous s’unir pour éviter le désastre annoncé… C’est sans doute ce qui lui a valu d’être assassiné.
Il est déjà deux heures de l’après midi, Elsa et Andrea doivent aller rejoindre les salles de cours et les étudiants, Todd doit regagner son bureau… nous nous promettons de nous revoir.