Un peuple décervelé
Brèves notes autour de la politique
Par René Pons
Ces notes désordonnées, très désordonnées, que d’aucuns jugeront excessives, caricaturales, répétitives et qui le sont peut-être dans la mesure où je n’ai pas eu le courage de les développer, de les nuancer, ont été écrites, à part deux ou trois, antérieures, au jour le jour, après les dernières élections. Elles ne prétendent pas apporter quoi que ce soit de nouveau, mais sont une participation modeste à un débat plutôt endormi sur l’avenir de la société. Elles sont, pour moi, une manière de me situer. Puisque, désormais, un seul modèle domine, au point de séduire même des gouvernements censés le combattre et qui d’ailleurs ne valent pas mieux que ceux auxquels ils s’opposent, puisqu’il semble que les peuples, résignés, corporatistes et égoïstes, ne regardent plus les politiques que comme les gestionnaires d’un système inévitable, il me semble qu’il n’est pas mauvais, au risque de paraître ridicule, de dire qu’on refuse la fatalité, même si l’on n’a pas une très haute opinion de l’espèce humaine, même si l’on doute que ladite espèce soit capable de faire l’effort nécessaire pour changer de cap.
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Le pire n’est pas, aujourd’hui, que des hommes politiques deviennent des renégats, qu’ils soient corrompus, vieille habitude, qu’ils osent, sans pudeur, à leur sortie de prison, se présenter devant des électeurs, non, le pire est que ces électeurs redonnent leur confiance à ces crapules qui les fascinent. Le pire est que le peuple, qui ne mérite plus guère le nom de peuple mais plutôt celui de tourbe, s’enthousiasme pour ceux qui le bernent et préparent des lois qui se retourneront contre lui.
Le peuple, ou du moins sa majorité, ne réfléchit-il plus et n’agit-il que par pulsions ou réflexes? Fasciné par la richesse, n’a-t-il plus d’autre désir, kitsch technologique aidant, que de singer médiocrement les riches vulgaires d’une jet set dont il voit s’étaler les exploits dans la quadri-chromie hebdomadaire à scandales, machine à décerveler aux mains de magnats financiers ou industriels plus ou moins visiblement impliqués dans la politique?
Combien d’électeurs se préoccupent-ils de ce qui se passe hors des frontières, voire hors des limites de sa commune ou de son département?
Combien votent-ils pour autre chose que le profit personnel qu’ils croient trouver dans les promesses de candidats démagogues?
Que savent-ils de l’ailleurs ou du lendemain, tous ces étranglés du crédit, eux que la télévision inonde d’une information désinformante et d’images qui s’annulent les unes les autres?
Et d’ailleurs comment le leur reprocher, quand un discours nationaliste plus ou moins masqué leur est sans cesse tenu, quand, périodiquement, des psychoses répétitives viennent obscurcir plus encore leur débile lucidité, quand le sens de la collectivité se dilue toujours plus dans un égoïsme grégaire?
Comment ce peuple serait-il cultivé quand la majorité de ses élus ne le sont pas?
Quand un président sans pudeur s’affiche auprès de vedettes fuyardes du fisc, au service des plus vulgaires productions, parfaits outils de castration de la pensée, pour reprendre l’expression de Bernard Noël?
Comment prendrait-il le temps de réfléchir ce peuple, quand on ne cesse de lui prôner la hâte, la productivité, l’argent et le travail aliénant?
À l’heure où la lecture diminue, où l’obsession de la rentabilité domine l’édition, où les intellectuels se montrent des modèles d’opportunisme et de lâcheté, pourquoi ce bon peuple réfléchirait-il et n’irait-il pas dans le sens de la veulerie des élites?
Dans cette société du clinquant, courtisans et esclaves font bon ménage. Travail et profit triomphent, tout comme la propriété aliénante, et il me semble me souvenir qu’au-dessus de la porte des camps de concentration, d’où l’on ne ressortait pas, les allemands, dont j’admire pourtant la culture, maîtres es humour macabre, avaient écrit : Arbeit macht frei (le travail rend libre).
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Le peuple n’aime pas penser: il aime qu’on pense pour lui. D’où son attirance pour les hommes politiques autoritaires et son goût pour les gouvernements forts. Avoir un père qui vous dit ce que vous avez à faire, quel confort ! Staline, surnommé le petit père des peuples, en est le parfait modèle. Mais, quels qu’ils soient, les hommes providentiels reproduisent toujours, peu ou prou, l’image du père, fût-ce un père copain et sportif, et parfois l’on rêve que se lève, à chaque carrefour, un Œdipe assassin.
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Le mot peuple, avec sa connotation révolutionnaire, pour nous français, et pas seulement, n’est plus guère d’actualité, étant donné la propension du moindre citoyen à singer le petit cadre en se saignant aux quatre veines pour acheter une voiture voyante dont il laisse impunément tourner le moteur sans se soucier de l’état de l’atmosphère, en rêvant, caricature moutonnière de l’individualiste, de devenir propriétaire de sa maison encombrée de toute une quincaillerie informatique ou autre plus abêtissante qu’enrichissante, etc. Bref, le peuple n’est plus que la caricature de la classe qu’il fut et justifie donc le terme méprisant de tourbe par lequel je le désigne parfois. Je ne suis pas un démagogue, et c’est bien pourquoi, de même que je méprise la masse des électeurs, je méprise aussi, logiquement, les élus. Quel plat peut-on préparer avec des ingrédients pourris, avec une démocratie qui n’est plus que la caricature d’elle-même, avec un peuple qui, dans sa majorité, n’est plus un peuple mais une foule de consommateurs fascinés et frustrés?
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Un système électoral qui ne permet pas la représentation proportionnelle des opinions est une tromperie. Il pousse à l’apathie et à l’automatisme du bipartisme et diminue la capacité de réflexion de l’électorat. Il réduit la pensée à une binarité appauvrissante.
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Les votes dits utiles, si à la mode en ce moment, ne font que perpétuer des situations précaires et encourager des partis, comme le parti socialiste, incapables de se gérer eux-mêmes. À force de refuser de trancher, cette utilité permet le pire, à savoir le fameux consensus mou. Mieux vaut faire de l’abstention une arme, même si l’on risque d’être pris pour un pêcheur à la ligne. Mieux vaut contribuer à créer des situations extrêmes dont on peut espérer, sans toutefois trop y croire, qu’elles finiront par réveiller les endormis ou plutôt les fascinés, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
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On connaît la capacité de notre époque à faire triompher l’euphémisme, à mentir sous peine de choquer les sensibilités de nos infantiles concitoyens; on ne parle plus de sourds ni d’aveugles, mots rudes, mais de mal entendant ou de mal voyants; les frappes aériennes sont chirurgicales, ce qui sous-entend que par un miracle d’habileté elles ne touchent pas les civils, bref, de nos jours les excès de contrastes, dans le domaine de la pensée, ne sont pas aimés. Aussi ne faut-il pas s’étonner que le Front National, grossier et simpliste, longtemps utilisé comme repoussoir par la droite modérée pour mieux forer ses galeries (nos concitoyens en furent grossièrement abusé en 2002 dans la pantalonnade du second tour des élections présidentielles), ait été électoralement laminé, ou plutôt absorbé par ladite droite. Désormais, les idées de ce parti, triées, passées à la lessive Sarkozy, sont devenues présentables. Les gens respirent, sans voir que si le Front National, en tant que phénomène visible, a perdu beaucoup de sa force, il triomphe souterrainement dans une droite convenable, si tant est qu’on puisse accoler ces deux mots, celle que soutiennent de brillants philosophes (?), des académiciens variables, des chefs d’entreprises évidemment, et même d’ex-membres d’une gauche déboussolée qui ont trouvé leur chemin de Damas et un portefeuille de ministre ou, à défaut, de secrétaire d’état. Certain Secrétaire d’État au visage en mastic mou de Iago de sous préfecture en est un bel exemple.
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Les politiques se sont cuisiné un système de faveurs et d’impunités inadmissible. La part de l’intérêt général dans les préoccupations des candidats est des plus minimes, ou en tout cas diminue très vite au fil de la vie politique. On n’a jamais vu qu’un naïf se maintienne longtemps dans ce milieu où les mots ne veulent jamais dire ce qu’ils prétendent dire et où les promesses, comme aurait dit l’Ecclésiaste, ne sont que vent et mouture de vent.
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Même si la violence finit toujours par se retourner contre elle-même, même si trop souvent ceux qui la susci-tent tombent dans les travers de ceux qu’ils prétendaient combattre, on ne peut s’empêcher de rêver à cette violence, tant les voies légales semblent bouchées. On se de-mande s’il ne serait pas bon, de temps à autre, que politi-ques ou crapules boursières se sentent en danger, visés par un insituable tireur d’élite. Pourquoi le cacher, parfois j’ai des nostalgies d’Action Directe.
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L’abondance de discours tenus sur l’immigration, entretient le racisme. Il est commode de faire croire à l’ouvrier que l’étranger lui vole son travail et ainsi de permettre aux patrons des plans sociaux infiniment plus meurtriers d’emplois que des immigrés d’ailleurs souvent employés dans des tâches que les travailleurs nationaux ne veulent plus faire. Il est plaisant de voir quelques immigrés occuper, dans les rangs de la droite, de hautes fonctions, dé-douanant ainsi cette droite qui tient un discours de plus en plus dur contre les immigrés précaires parmi lesquels pour-raient pourtant se trouver de futures élites.
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À part deux ou trois grands titres un peu moins mau-vais que les autres, la presse est d’une telle médiocrité qu’on peut comprendre le néant mental de la population. Le sport y occupe une place énorme, et l’on peut dire qu’il est un des premiers complices de l’abrutissement généralisé du citoyen dont le crâne est à peu près aussi vide d’idées qu’un ballon de football et qui, sur la route du dimanche, se prend, entre deux embouteillages qu’il alimente, pour un pilote de Formule 1 ou un champion cycliste bourré d’E.P.O.
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Le tourisme aurait pu être un moyen de connaissance des peuples lointains et de leur condition, mais c’est le contraire : le touriste veut se faire plaisir en voyageant, oublier ses ennuis locaux. Partant, son regard devient sélectif, il ne voit que ce qu’il veut voir, c’est à dire le chromo qui l’a poussé à faire le voyage. Les arrière-cours, les eaux sales ne l’intéressent pas. Et d’ailleurs, même s’il voit ces eaux sales et cette misère, c’est pour se sentir supérieur et mépriser encore plus ceux qui ne lui ressemblent pas et qui n’ont d’autre utilité que de lui donner un petit frisson d’exotisme. Quand ce n’est pas, un instant, au bord d’une piscine bleue, pour se donner l’illusion de ressembler à ces yan-kees milliardaires qu’il voit dans les envahissantes séries américaines télévisées. Et comment reprocher au touriste lambda un tel comportement, quand des intellectuels deve-nus ministres sont les premiers à donner l’exemple de la veulerie?
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La prison, l’enfermement momentané des délinquants, pourrait être l’occasion de leur donner un nouveau départ, un bagage qu’ils n’ont pas eu ou qu’ils ont perdu. À l’inverse, la prison, eu égard à sa promiscuité, ne fait qu’enfoncer un peu plus le délinquant dans sa délinquance. Mais quelle proportion de la population se questionne sur ce problème? Une minorité. Le reste, au nom d’une très vieille idée du châtiment, se félicite de la sévérité des conditions carcérales et sans doute bien des prisonniers, fatalistes, considèrent-ils comme inévitables les conditions qui leurs sont faites et pensent-ils que dans cette société de la concurrence érigée en divinité, ils sont de mauvais joueurs qui feront mieux la prochaine fois.
À ceux-là je voudrais dire: «Est-ce que le prisonnier n’est pas, d’une certaine façon, le complice d’une société qui l’enferme dans des conditions inhumaines au nom de la protection de l’humain?
Est-ce qu’en succombant à l’attrait des objets, objets fascinants, mais pour la plupart sans nécessité, en les vo-lant, parce qu’il n’avait pas d’argent pour les acheter, à moins que ce ne soit par stupide envie ou par jeu ; est-ce qu’en se laissant dominer par des passions, au nom d’une certaine idée de la propriété, par le poids du regard de l’autre, le délinquant ne fait pas que jouer son rôle de marionnette dans une société du spectacle (je renvoie aux Considérations sur la société du spectacle de Guy Debord, ce livre toujours aussi frais qu’à sa parution) qui creuse chaque jour un peu plus les inégalités, qui excite chaque jour un peu plus l’appétit de consommation d’un peuple abêti adorant singer les riches en s’enchaînant de crédits multiples?
Après tout, un délinquant c’est un citoyen ordinaire, un peu moins prudent que les autres, un peu plus fasciné que les autres, à partir d’une faille familiale ou intime, par cette foutue société grégaire où chacun est enfermé dans sa solitude, où le modèle proposé à la foule est la réussite des médiocres créatures qui alimentent la presse people, parmi lesquelles, de plus en plus nombreux, ces hommes politiques qui dirigent le pays, prétendent-ils, et font des lois toujours plus restrictives dont ils savent cyniquement s’éviter les rigueurs.
Certes, les crimes ont toujours existé, reposant le plus souvent sur l’inégalité ou sur la fascination du pouvoir et aussi, bien sûr, mais dans une moindre proportion, sur une véritable pathologie, mais la société actuelle ne fait qu’exacerber, à l’échelle nationale et internationale, ce phénomène ancien.
À quel moment, devrait se demander le délinquant, suis-je, fasciné, devenu un des pions de ce jeu pervers qu’est le jeu social, entré sans m’en apercevoir dans ce piège dont l’extrémité est la prison?
Par quelles voies suis-je arrivé dans les neuf mètres carrés d’une cellule où l’on vit à trois plus une télévision?
Je ne prêche pas ici la révolte bête, la casse, mais une réflexion qui, partant de l’un va vers tous. Une réflexion qui remet en question non seulement le comportement de celui qui s’y livre, mais la totalité d’une société basée sur le gaspillage, la propriété aliénante et le triomphe d’une économie amorale.
Tant que le délinquant emprisonné ne se livrera pas à cette réflexion individuelle et politique, refusant toute forme caritative d’apitoiement, toute idéologie préfabriquée, il ne retrouvera pas, même s’il est libéré, sa liberté intérieure, il continuera à rester prisonnier de ce piège subtil dont il contribuera à tisser les mailles : il restera un complice de celui qui l’emprisonne.
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D’aucuns, en s’extasiant, trouvent le monde formidable, donnant d’ailleurs à ce mot un sens qu’il n’a pas. Mais nous n’en sommes pas à une nuance près et savons que, désormais, les mots ont un autre sens que celui qu’ils affi-chent dans le dictionnaire. Qui, d’ailleurs, se sert encore de cet outil que des vieillards académiques chamarrés, avides d’honneurs, et prêts à trahir leurs convictions prétendues, comme on l’a vu récemment, pour les obtenir, s’efforcent, toujours en retard d’une guerre, d’échafauder?
Aujourd’hui, les mots sont devenus, dans la bouche des politiques et de pas mal de journalistes, exactement l’inverse de ce qu’ils signifient. Le mensonge est vérité, l’information une machine à décerveler, bon nombre d’intellectuels opportunistes se rangent, hélas, comme ils le firent au moment de la Commune, du côté du pouvoir, au prix de reniements sans pudeur. Quant aux ex philosophes nouveaux plus ou moins rancis, ils bénéficient d’une luci-dité à géométrie variable.
L’ordre moral, le travail, l’intolérance face à l’étranger, sont à l’honneur. Mais le pire est que le peuple, majoritai-rement, se fait victime consentante et admirative de ceux qui le trompent, l’enchaînent et le désarment par le subtil moyen du crédit et de la propriété.
« Je veux, nous a dit le président d’une voix émue, que tous les Français soient propriétaires. » Et l’on comprend bien pourquoi. Déjà, le 27 août 1881, dans un article de l’Économiste français un plumitif écrivait: «La possession de sa maison opère sur l’ouvrier une transformation complète… Avec une maisonnette et un jardin (c’est exactement la villa Phénix), on fait de l’ouvrier un chef de famille vraiment digne de ce nom, c’est à dire moral et prévoyant, se sentant des racines et ayant autorité sur les siens… C’est bientôt sa maison qui le «possède»; elle le moralise, l’assied et le transforme» Et, bien entendu, aurait pu ajouter l’auteur, elle le désarme, surtout s’il n’a pas fini de la payer. Crédit et propriété sont deux des piliers de notre spectaculaire et fascinante société, une chaîne invisible et admise par tous.
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Ce qui me choque dans l’usage de la drogue, ce n’est pas tant la recherche, plutôt naïve, de paradis artificiels, que la reproduction, par dealers et consommateurs, de la chaîne d’exploitation du monde capitaliste. Le drogué, sa liberté anesthésiée, devient dépendant du revendeur qui lui-même est dépendant de son fournisseur par des chaînes économiques. On n’en sort pas. L’aliénation triomphe. Et les pouvoirs, étrangement, ne frappent jamais la tête des réseaux, mais des subalternes aussitôt remplacés par d’autres facilement trouvables, comme les ouvriers licenciés pour le plus grand profit des multinationales, puisque le système entretient la précarité, parfait terrain d’une délinquance qu’en apparence il combat.
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Quand, me promenant dans Paris, je passe rue des Écouffes ou rue des Rosiers, si tranquilles à présent, avec leurs quelques boucheries casher et autres boutiques, je ne puis m’empêcher de penser à ce quartier tel que le décrit Léon-Paul Fargues dans son Piéton de Paris. Tout a bien changé depuis: la Shoa est passée par là, dont je n’ai rien su dans mon Sud natal où je vivais pendant la guerre. Je ne peux pas m’empêcher, n’étant pas de ceux qui oublient, de penser à ce mois de juillet où des policiers français embarquèrent des juifs dans des bus pour les remettre à ceux qui avaient inventé le doux concept de solution finale. Je me pose la question, naïve aux yeux de certains, du mal, ou plutôt de l’absurde. Comment peut-on décider, au nom de quoi, de faire disparaître un peuple, une communauté ou une catégorie sociale jugée inférieure ou inadaptée? Pourquoi le massacre des tziganes, des homosexuels, qu’on oublie trop souvent. Pourquoi le massacre des juifs? Pourquoi le massacre de n’importe qui? Pourquoi ce mépris pour tous ceux qui ne sont pas conformes à une norme? Pourquoi cette réification de l’humain, son assimilation à une matière première ou à un instrument, spectaculaire avec la Shoa, mais qui se poursuit aujourd’hui, sous nos yeux, quand on dégraisse ou écrème (de tels mots ne sont pas innocents) une entreprise, sous prétexte de rentabilité, jetant, à coup de plans sociaux (merveille de l’euphémisme) des milliers de rouages humains sur le pavé? Je citais, au début de ce texte, le fameux arbeit macht frei, ce fameux travail si exalté par le gouvernement actuel. Oui mais, quel type de travail? Aujourd’hui, notre président préconise de travailler plus pour gagner plus, mais gagner plus pourquoi? Pour acheter un peu plus de gadgets inutiles et s’aliéner encore plus à l’objet, c’est-à-dire pour perdre sa liberté dans la spirale de la fascination et du crédit ?
On me dira: les gens n’ont qu’à réfléchir et apprendre à gérer leurs revenus. Certes, mais n’est-on pas sans cesse en train de les culpabiliser s’ils n’ont pas ou ne font pas ceci ou cela? S’ils ne partent pas en vacances, s’ils n’utilisent pas telle marque, s’ils n’ont pas de téléphone portable ou d’ordinateur (je parle par expérience), même s’ils n’ont aucun besoin de l’un ou de l’autre. La foule est faible, influençable – les élections le prouvent –, les gens capables de résister aux leurres tendus ne sont pas nom-breux, la peur de n’être pas comme tout le monde est à peu près générale ; peu, pour ne pas dire rien, n’est fait pour déciller le potentiel client ; la distanciation n’est pas à l’ordre du jour, mais l’immédiateté: il faut aller vite, vite, vite, positiver ; dès lors pourquoi s’étonner que la masse ne sache pas se défendre contre les appeaux publicitaires et autres ? Étrange époque de la culpabilisation institutionnalisée où le chômeur qui ne trouve pas de travail parce qu’il est trop vieux, ou pour d’autres raisons, est montré du doigt et traité de fainéant, pour ne citer que cet exemple. Il faudra du temps avant que les gens comprennent que le travail n’a d’intérêt que dans la mesure où celui qui l’accomplit y met une part de son intelligence, au lieu de n’être qu’un robot, où ce travail ne s’accomplit pas au détriment du vivre, ce verbe que la plupart des gens n’ont pas encore appris à conjuguer.
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Je ne hais rien tant que l’appel aux bons sentiments, à la forme de culpabilisation larvée pesant sur ceux qui ne se laissent pas prendre à un optimisme doublé de dolorisme, si à la mode aujourd’hui et qui permet d’infantiliser les uns et les autres à coups de cellules (on ne saurait mieux dire) psychologiques, d’appels ludiques et sportifs (il faut toujours battre des records) à la charité genre téléthon, et ainsi de suite. Les enseignements religieux se sont adaptés aux médias et même si la religion perd des adeptes, ou plutôt voit se transformer la forme d’adhésion à ses messages, elle a été à tel point intériorisée qu’elle continue à façonner les manières d’agir et de penser. Et ne parlons pas de celles qui se sont spectaculairement faites porteuses de mort et d’intolérance obtue.
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C’est aux enfants, apeurés devant le noir, qu’on dit: «N’ayez pas peur!». Ce n’est pas pour rien que le Pape est appelé le Saint-Père. Aux adultes, il faut dire: «Ouvrez les yeux et prenez-vous en main!».
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Les hommes, en matière de progrès technologique, se sont montré étonnants, et il est ridicule, comme le font certains, de faire porter au progrès la responsabilité des malheurs qui nous accablent. Le progrès n’est qu’un outil, et même si un outil peut créer une perverse fascination de la puissance entraînant les pires excès, l’outil inventé par l’homme – faut-il rappeler de telles évidences ? – n’en est pas responsable. Si le progrès, par un certain nombre de ses inventions, a créé des problèmes, c’est parce que les hommes n’ont pas utilisé ces inventions (l’automobile par exemple), au prorata de leur véritable utilité. Développer les transports en commun aurait permis d’éviter bien des gaspillages, humains et matériels, mais c’était sans compter avec la formidable mine à profit qu’à représenté, industries du pétrole aidant, le moteur à explosion, lequel, dans un premier temps, a pu raccourcir les distances, offrir, croyait-on, grâce à l’automobile et à l’avion, un moyen d’évasion aux hommes, au lieu qu’à la longue il est non seulement devenu un fléau pour l’atmosphère, mais a eu l’influence néfaste que l’on sait sur le comportement d’humains qui, loin de trouver en lui la liberté, n’y trouvent, enfermés dans leur cocon d’acier, qu’une solitude grégaire, un facteur d’égoïsme, de violence et de vanité multipliée, bref, un ou-til aliénant et ruineux pour l’individu et la collectivité et en fin de compte destructeur d’une liberté qu’il était censé élargir.
Pourtant, ce progrès, bien utilisé, pourrait apporter des solutions a presque tous les problèmes que nous connaissons. Mais les hommes sont-ils capables d’accepter, aussi bien le citoyen lambda que les boursicoteurs et chefs d’entreprises, un bouleversement de l’organisation de la société, une remise en question, de fond en comble, de notre manière de vivre, une résistance de tous les instants aux leurres d’une croissance infinie tant en matière d’économie que de démographie?
J’avoue douter beaucoup de cette capacité de l’homme à tout remettre à plat ; et, comme le temps presse, je crains qu’il ne soit trop tard et que les mesures çà et là prises ne puissent qu’à peine retarder le désastre.
Évidemment, eu égard à mon âge, je pourrais m’en foutre, mais je n’y parviens pas. Par humanité? Peut-être. Surtout, aussi bizarre que cela paraisse, pour des raisons esthétiques. Ah, si le kitsch universel pouvait disparaître! Mais je rêve: ceux qui nous gouvernent n’en sont-ils pas la plus parfaite illustration?
Regardez-les s’agiter derrière leur chef plus agité que tous les autres, courant aux fesses du nabot sautillant, avo-cat de charme, maître es démagogie, petit tsar rentré qui doit rêver des temps heureux du knout, marionnette sautant d’un jet dans une piscine, d’une piscine sur un yacht, d’un yacht sur son vélo, de son vélo dans ses nike, de ses nike dans son costume sombre qui le fait paraître encore plus court, de son costume dans les bras d’Angela, des bras d’Angela dans ceux de Tony, de ceux de Tony dans ceux de Georges le crétin va-t-en-guerre, toujours tressautant, rigolard crispé mais l’œil triste comme Snoopy, et derrière-lui la cohorte des crétins crapuleux, des renégats de toutes sortes, des égéries exotiques, tous sortis du même moule, aligneurs de formules élimées, adeptes de la langue de bois, Juppé l’avaleur de couleuvres droit dans ses bottes, Alliot l’avaleuse de parapluies, Borloo le clown aux pantalons flasques, Fillon et ses valoches de noctambules, Kouchner, cabot sur le retour amateur d’ingérence, Besson le Iago de sous-préfecture, Boutin la gouvernante à curé, Bachelot la gourde joufflue, Christine Lagarde la sautillante Marie Chantal sur le retour, Attila Dati écrasant la justice sous ses sabots, et d’autres, et d’autres et d’autres qui passent et passeront aussi vite qu’ils sont venus. Jouissez bon peuple ! La foire est ouverte où les pauvres paient le double des riches. N’est-ce pas Bismarck qui a dit: «Faites payer les pauvres, ils sont les plus nombreux!»? Allons, vous l’avez voulu. Rongez-vous les poings et ne venez pas geindre quand, trop tard, comme d’habitude, vous prendrez conscience de vos œillères.
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Pourquoi le travail serait-il cette valeur essentielle dont on nous rebat les oreilles? La vieille idée chrétienne: tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, a creusé le sillon. Ceux qui profitent du travail des autres l’ont creusé plus encore. Le travail? Mais quel travail?
Certes, il faut que le monde tourne, et pour que le monde tourne il faut assurer des services, régler, surveiller la machine, je veux bien, mais pourquoi ce travail nécessaire est-il organisé de telle manière qu’il doive trop souvent appauvrir, mentalement parlant? Pourquoi serait-il indécent de ne pas trop travailler, comme le préconise Lafargue? Pourquoi faut-il que le travail soit désagréable, ou plutôt, pour des motifs de profits, rendu, à coups de cadences, désagréable? Et pourquoi faut-il que ce désagrément fabrique toujours plus de rebut, que l’objet, du côté de qui le fabrique et qui le consomme, soit à ce point créateur d’angoisses suicidaires? Pourquoi faut-il que les gens se croient obligés de le posséder cet objet alors que souvent il n’est même pas nécessaire?
Nous sommes en train de vivre une véritable épidémie objectale. La foule est lentement détruite par le creux de désir que les objets forent en elle. Je ne dis pas: les objets sont inutiles, je dis: ils sont trop souvent inutilement employés. Or, non seulement l’objet est producteur de déchets, mais il provoque une fièvre possessive chez qui n’est pas assez fort pour s’en défendre, fièvre possessive qui pousse à travailler toujours plus, à s’endetter toujours plus, à s’angoisser toujours plus. D’où un prodigieux et criminel gaspillage non seulement de matière, mais aussi d’humanité et de sens esthétique, puisque, même si le design est capable de créer de la beauté, l’industrie, inventrice du kitsch, multiplie quantité de produits plutôt ignobles, triomphe du toc, quant à l’aspect et à la matière, et dont on sait bien qu’ils sont calculés pour ne pas durer, ou faits pour se démoder très vite, au lieu que ce bol japonais posé sur la table, par la parfaite adéquation entre sa forme et son usage, sa couleur, sa matière qui peut traverser les siècles, m’émeut soudain, anonyme, posé au centre de la nappe blanche, presque autant que tel tableau de Morandi où le peintre a soigneusement groupé des objets très ordinaires pour en faire ce qu’on appelle bien à tort, nous français, une nature morte.
J’ai conscience qu’un tel discours sera jugé élitiste et réactionnaire. Or, il ne nie pas la modernité et ce quelle a apporté dans le domaine de l’art, il ne nie pas mon admi-ration pour bon nombre d’artistes contemporains, dont certains sont ou furent mes amis, mais il veut relativiser l’enthousiasme snob et à courte vue que les imbéciles montrent, sans nuances, à l’égard de leur temps, prétendant que celui-ci est infiniment supérieur à l’ancien, ou encore, stupidité que la seule lecture de l’Œdipe de Sophocle devrait leur faire avaler, que l’homme est meilleur, plus subtil que son lointain ancêtre.
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Toujours aussi d’actualité, après les récents suicides de travailleurs divers, cette phrase de Lafargue pour corroborer ce que je disais ci-dessus: «Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture.»
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La musique, cette autre façon de palper l’indicible, est devenue, pour nombre de gens, pur bruit de fond dans lequel on s’enferme. Ainsi voit-on, partout, des individus des deux sexes, écouteurs aux oreilles, courir, marcher, lire, au point qu’on se demande laquelle des deux activités pratiquées en même temps l’est au détriment de l’autre. La notion de recueillement semble échapper de plus en plus au public. Or recueillement et lecture – et la lecture diminue – sont parents étymologiques, mais qu’importe l’étymologie: une sorte d’amincissement généralisé du sens rend diaphanes les messages sans épaisseur qui se dissipent partout comme une légère fumée. Les bruits, les informations s’annihilent les uns les autres et une pruine d’indifférence semble tout recouvrir, si bien que, peu à peu, la hiérarchie des événements et des valeurs disparaît.
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Si les politiques, majoritairement carriéristes, renégats ou crapuleux, ne bénéficiaient pas d’avantages scandaleux, tant financiers que pénaux, ils ne seraient pas si nombreux à se bousculer au portillon.
Si, à quelques-uns, on peut attribuer une certaine honnêteté à leur début, combien, lorsqu’ils se retirent, après une carrière bien remplie, comme les poches, peuvent se targuer de ne pas émettre des effluves nauséabonds?
Et d’ailleurs, me dis-je quelquefois, est-ce qu’à leur place tu aurais été meilleur qu’eux? Oui mais, je n’ai pas fait de la politique, et dans ce domaine je m’en suis tenu à un vertueux et hélas naïf bénévolat.
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Gogol, dans Le Révizor, a admirablement peint la crapulerie sociale. Nul doute que s’il revenait, il aurait l’impression de s’être endormi la veille et même d’avoir été trop gentil.
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Le mensonge, la conviction jouée, les formules vides, les clichés souvent ronflants, sont la base de la plupart des discours politiques. Même ceux, cultivés, qui choisissent l’étrange carrière du pouvoir, sont obligés, pour se mettre au niveau du citoyen lambda, de tomber dans des platitu-des plus ou moins ampoulées qui font rire, dès qu’on prend un peu de recul, comme une mauvaise réplique de théâtre. À vouloir être trop intelligents, ils deviendraient incompréhensibles et pourraient bien y laisser leur maroquin.
D’ailleurs, cela notre président l’a bien compris qui, dans un entretien au journal gratuit 20 minutes déclare: «Vous avez le droit de faire de la littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1000 étudiants pour deux places». Ce qui est un mensonge, puisque le nombre d’étudiants de littérature ancienne n’a cessé de diminuer et qu’il représente aujourd’hui un pourcentage infime de la population des universités; mais notre président, en avançant des chiffres faux – ce n’est pas la première fois ni la dernière – veut pousser le bon peuple pragmatique à haïr ce qui est présenté comme une fantaisie marginale, alors qu’elle n’est rien moins que la base de notre civilisation.
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Ce tout frais président, ennemi du grec et du latin, n’a rien de novateur. Il est le pur produit d’une époque fébrile qui a peur du silence, du repos et de l’ennui, qui ignore tout autant l’ataraxie stoïcienne que le wu wei (non agir) chinois. L’ennui est banni de ce monde. Interdit de bâiller. Très tôt, la peur de l’ennui soumet les enfants, victimes de parents écrasants d’attention et bêtifiant en diable, à quantité d’activités épuisantes qui leurs interdisent ces longues plages de silence et de solitude, cette école buissonnière passée de mode, sur lesquelles se forgent l’intelligence et la sensibilité; longues plages que j’ai connu dans mon enfance quand, dans les après-midi d’été, je rêvassais en regardant la rivière de mon village natal, ou quand je lisais tout ce qui me tombait sous la main, dans un silence vibrant d’insectes, ou encore dans l’appartement sombre que nous occupions, au début de la guerre, et dont les fenêtres donnaient sur une cour plutôt sinistre. C’est là, dans un apparent ennui, que s’est formé un goût pour la lecture qui m’a conduit au désir d’écriture et m’a permis de survivre en dépit de l’angoisse éprouvée face au temps. Perdre son temps, ou plutôt le laisser passer, vide d’activités mais replet de fantasmes, c’est vivre vraiment, c’est voyager immobile, sans frais, sans l’angoisse de départs vers des vacances qui sont tout le contraire de l’abandon, puisque, esclaves d’itinéraires épuisants, d’horaires et de dangers divers, les vacanciers font tout pour s’oublier, pour refuser de s’explorer, préférant effleurer, d’un regard hâtif, des sites banals à force d’être prestigieux.
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Qu’un ouvrier, un employé, disons un subalterne, commette une faute, il sera sanctionné ou perdra son emploi. Qu’un chef d’entreprise la gère mal lui vaut une retraite dorée. Qu’un homme politique puise dans l’argent public ou, au détriment de la collectivité, se permette de frauder électoralement et soit condamné, s’il est condamné, d’ailleurs fort légèrement, il est à peu près sûr d’être réélu. La faculté d’oubli du citoyen est phénoménale. À moins que, in petto, il espère qu’un tel homme corrompu soit plus indulgent pour ses propres erreurs qu’un censeur rigide?
N’est-ce pas le moment d’effacer du fronton des mairies, cette grotesque formule inventée d’ailleurs par une révolution bourgeoise: liberté, égalité, fraternité. Au point où l’on en est, je ne doute pas qu’on pourrait revenir aisément au travail, famille, patrie cher à l’État français de mon enfance. D’ailleurs, en est-on vraiment jamais sorti?
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Bien sûr, tout cela n’est pas nouveau. Depuis que l’homme s’est organisé en société, il a mis en pratique les mêmes turpitudes. Toutefois, l’évolution de la société moderne qui, de façon détournée et habile, désarme le vulgum pecus, encourage le médiocre cynisme des politiques. Et pourquoi ne seraient-ils pas cyniques, puisque le bon peuple les élit d’autant mieux qu’ils sont plus stupides ou corrompus, comme l’ont montré, à répétition, les élections américaines qui ont porté au pouvoir un ivrogne menteur, un obscurantiste scientiste, coupable d’une guerre atroce dans laquelle il a jeté vers la mort, à coups de bannière étoilée, ses propres concitoyens, les fils de ceux-là qui l’avaient élus et, pire, qui l’ont réélu ? Que le président qui lui a succédé paraisse infiniment meilleur, peut paraître encourageant, mais, si bon qu’ils soit, il est héritier d’une situation complexe et, de toute façon, prisonnier d’un système que d’ailleurs il ne conteste pas.
Où l’on voit que le suffrage universel, lorsque les citoyens sont incapables de penser plus loin que le bout de leur nez, n’a plus de sens. Les arguments les plus lourds, les promesses les plus grossières amènent le plus de voix. L’intelligence n’étant pas la chose du monde la mieux par-tagée, les arguments lucides et subtils étant les plus longs à comprendre en ces temps où la rapidité, fût-ce pour se précipiter vers le néant, est devenu une valeur prônée comme essentielle, pourquoi les politiques se donneraient-ils la peine d’expliquer, quand il est tellement plus payant d’asséner?
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Et c’est là le hic. Le suffrage universel, en principe, demande à l’électeur un minimum d’intelligence pour com-prendre les questions qu’on lui pose – cas des référen-dums, comme l’européen où fut malhonnêtement envoyé aux électeurs un document complexe et long qu’un peuple qui lit si peu ne pouvait, dans sa majorité, pas comprendre – ou pour décortiquer les programmes qu’on lui propose, et ce minimum d’intelligence n’étant pas atteint par la majorité, par quoi, tant que le niveau mental de la population ne sera pas élevé par la suppression des outils d’abrutissement partout répandus (rêvons !), remplacer le suffrage universel? Voilà une question à laquelle je ne me sens pas capable de répondre. Ou alors… Alors quoi? Faut-il rêver d’une oligarchie vertueuse? Mais comment une oligarchie pourrait-elle rester vertueuse?
Le suffrage universel, dans son projet, est généreux. Il apparaît, on l’a dit et répété, comme le moins mauvais des systèmes. Je veux bien, mais dans moins mauvais, il y a quand même mauvais. Œdipe aurait-il été capable de résoudre une pareille énigme? Que faire? Évidemment, rendre les électeurs moins bêtes. Mais les rendre moins bêtes, c’est les rendre plus critiques, donc plus difficile à convaincre. Quel dilemme pour les politiques! Quel chantier admirable! Mais, franchement, quel fabriquant de pacotille a-t-il intérêt à ce que ses clients deviennent plus subtils ?
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Du chiffonné Borloo au papelard Devedjian, en passant par le petit cadre Fillon et quelques raides spécimens du sexe dit beau, le parti gouvernemental, groupé autour de son vibrionnant Badinguet de poche, ce parti pléthorique, vraie panse législative, malgré ses derniers déboires, pourrait faire un beau modèle pour un nouveau Daumier, mais les socialistes mous et variables, avec leur fluctuante pasionaria de charme à la vie sentimentale embarrassée, ne seraient pas en reste : non content d’usurper un qualificatif que leur comportement, lorsqu’ils étaient au pouvoir, ne justifie pas, ils donnent le spectacle de garnements irres-ponsables se disputant des sucettes dans la cour de l’école. Comment s’y retrouver? On dit qu’entre deux maux il faut choisir le moindre, voire. Pour ma part je refuse de choisir et d’user la fente de l’urne. D’avoir favorisé un mal pour se débarrasser de l’autre, on risque demain de se retrouver citoyens du pire. Au moins s’abstenir de participer à la tragicomédie.
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L’extrême gauche oscille entre la fossilisation idéologique de lutte ouvrière, les bavardages d’Olivier Besancenot et les perpétuelles zizanies des verts entre eux. Seuls les alter mondialistes, ouverts au reste du monde, et dont le dirigeant principal a fait de la prison pour autre chose que la prévarication, auraient droit, pour le moment, on notera le conditionnel, à quelque respect, dans la mesure où n’ayant jamais touché au pouvoir ils n’en sont pas encore salis. Mais leur voix ne va pas dans le sens de l’appétit consommateur du plus grand nombre. Ils s’ouvrent au monde des peuples pauvres dont Monsieur tout le monde se fout quand il ne le méprise pas. Leurs propositions restent floues. Leurs moyens réduits. Leur programme brumeux. Et c’est dommage.
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La mode du bio est charmante, et utile: elle permet à des petits producteurs de vendre des aliments un peu moins empoisonnés que les autres, mais elle n’est souvent qu’une mode, et j’ai vu des gens aller acheter du biologique en 4×4, ce qui en dit long sur la confusion des esprits. Toutefois, tous les esprits ne sont pas confus, puisqu’il vient de s’ouvrir, à Londres, une grande surface bio fort rentable, supermarché branché pour bobos dont je doute que les produits soient aussi purs qu’ils prétendent l’être. On finirait par trouver Georges Bush sympathique de dire tout haut qu’il se fiche du réchauffement de la planète, lui qui a tellement l’habitude de mentir, alors que tant de chefs de gouvernement et d’industriels font semblant de défendre un environnement que leur politique économique et leurs comportements condamnent chaque jour un peu plus à mort. À cet égard, le Grenelle de l’environnement a été une coûteuse pantalonnade de haut vol.
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Et non, je ne vois pas tout en noir, je ne suis pas le pessimiste de service. Qu’on arrête de condamner, en appelant parfois la pathologie à la rescousse, ceux qui voient l’homme tel qu’il est, au moins dans son côté le plus spectaculaire. Ces pessimistes, la doucereuse Nancy Huston les baptise des mélanomanes, c’est-à-dire des maniaques, donc des gens dont les propos sont hors du champ de la raison, au moins au point de vue du quotidien, car du côté esthétique on leur accorde quelque valeur. Des gens – jugez du peu – comme Thomas Bernhard, Kafka, Cioran et quelques autres, bref des marginaux qui ne positivent pas, pour employer un verbe qui a le don de me donner de l’urticaire. Or ce haussement d’épaules, ce mépris aveuglé face au regard douloureux, acerbe et lucide que ces hommes portent sur le monde est décourageant, car les rieurs sont le nombre, contre lequel on ne peut pas grand chose, et tenter de leur faire comprendre que ce qu’ils appellent pessimisme ou noirceur n’est, face au monde tel qu’il est devenu, rien d’autre que de la lucidité, les fait rire plus fort encore (certains de mes amis sont passés maîtres en la matière), et particulièrement parmi un certain nombre de brillants membres de l’intelligentsia fascinés par une modernité qui pour eux n’a qu’un seul visage. Penseurs à œillères, ils ont peur de déranger leur confort et de regarder en face les ravages d’une autodestruction dont nous sommes tous, peu ou prou, quelles que soient nos analyses, partie prenante, puisque la grande force du système dans lequel nous vivons est, sous peine de devenir un parfait marginal, de nous obliger à accomplir des actes que nous ne voudrions pas accomplir. Tout le monde n’est pas Thoreau, et la désobéissance civile est chose difficile et risquée. Or tous nous avons des obligations familiales, ou autres, et nous sommes un tantinet lâches. Bien beau encore si nous nous rendons compte de cette lâcheté et des liens qui, chaque jour un peu plus, ligotent notre liberté. Bien beau, car il existe toute une classe de gens, ceux que j’appelle les doucereux qui, aveugles volontaires, sous l’égide de religions diverses, voient des anges partout (l’un de nos écrivains est passé maître en la matière), justifient la souffrance, ou bien, progressistes de choc, trouvent notre époque formidable et vont voltigeant de challenge en challenge, puisque désormais le beau mot défi n’est plus employé par personne. Cette petite réflexion désordonnée m’est venue ce matin après avoir écouté les informations et goûté l’ironie des chiffres des morts déchiquetés par des attentats ou par des guerres justicières. Au fond, les doucereux ont raison. Dieu a bien fait les choses : les anges (exterminateurs?) ne chômeront pas.
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Le refus individuel, sensé, de la loi, peut être dénonciation de l’imperfection d’une loi collective qui est un pis-aller destiné à ceux, la majorité hélas, qui sont incapables de s’inventer leur propre code éthique. Néanmoins, comme il est interdit de se mettre au-dessus des lois, partout une médiocrité légale règne. Quand la loi de l’illusion religieuse prévalait, on brûlait ceux, lucides, qui dénonçaient cette illusion, laquelle, aujourd’hui encore, fait des ravages et imprègne quantité de comportements à travers les interdits qui se sont incrustés, au fil des âges, dans les inconscients . Qu’on n’efface pas, du jour au lendemain, des millénaires de sujétion est une évidence que trop de gens, qui se prétendent libérés, ne veulent pas voir, refusant de reconnaître une faiblesse qu’ils croient effacer d’un coup d’éponge: bâtir sa liberté est de l’ordre de la gageure. Les événements, la société ne cessent de nous décourager dans l’effort fait par tel ou tel pour édifier sa propre éthique, cette singularité qui, sans nier l’autre, lui demande à son tour de ne pas nous nier. Néanmoins, chaque jour un peu plus, la liberté s’étiole, le conformisme gagne du terrain, au point que j’en viens à me demander si la solitude n’est pas, au bout du compte, dans la mesure où elle est encore possible, le seul remède à la surveillance généralisée, chaque jour élargie, équivalent, en plus pervers et discret, de l’œil divin ou, plus prosaïquement, du panoptisme benthamien, qui caractérise notre temps. Oui, vraiment, je me méfie de plus en plus de ces militantismes qui trop souvent conduisent à un paresseux aveuglement convaincu. Je revendique la solitude, l’écart, le refus de la mode. Je revendique de vivre dans cet enfer où mes remarques, à peine écrites, sont déjà rongées par le doute.
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Que vaut-il mieux? Un ministre efficace et corrompu, ou un imbécile honnête et catastrophique? La politique a toujours placé le citoyen devant ce genre de dilemme. À condition que le citoyen pense qu’il peut exister un homme politique honnête et un ministre vraiment efficace.
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Plus on descend dans l’échelle sociale, plus on trouve des gens exigeants, intolérants, surtout si le service qui leur porte secours est gratuit: une âme de petit potentat dans un corps de serf. Le goût et la fascination du pouvoir sont d’autant plus forts que ce pouvoir est inaccessible. Qu’une révolution renverse les échelles de la hiérarchie et, malheureusement, ceux, les plus obtus, chez lesquels on trouve ce travers, les entiers, incapables d’analyse, s’emparent d’un pouvoir qui ressemble très vite, parfois en pire, à celui qu’on a abattu. Le triomphe du populisme, qui aime les démagogues brutaux, ne s’explique pas autrement.
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Il semble, au fil des ans, que l’information se rétrécisse, soit faite de redites, sorte de bégaiements de vieillards déguisés en journalistes jeunes, familiers et sautillants qui englobent, sous le même ton, la pire des catastrophes et le plus bénin des faits divers. À la longue, cette information répétitive, comme celle de ces chaînes – on ne saurait mieux dire – qui toutes les dix minutes, entre deux publicités ou chansons, retransmettent le même communiqué, n’est plus qu’un bruit, et l’indifférence sourd de ce brouhaha où la vie de la planète devient pur bruit de fond. À la musique d’ameublement, dont Satie parlait et qu’il écrivait avec humour, sous-entendant que, si anodine soit-elle, elle méritait d’être écoutée, a succédé une musique d’ameublement sans humour doublée d’une information d’ameublement qu’on n’écoute plus mais qui tue le silence propice à la réflexion, à la rêverie ou à la méditation. L’auditeur de ce hachis sonore s’endort mentalement, se laisse bercer, enfermé dans cette cage qui lui masque les lointains du silence. Il vit dans un monde clos, ouaté de paroles dénuées de sens ou, parfois, plus que d’un sens, qui implique l’idée de compréhension, dotées d’un pouvoir émotionnel plus créateur d’atonie mentale que de distanciation et d’approfondissement. Aussi, ne faut-il pas s’étonner qu’à côté d’un matraquage de pseudo bonheur abrutissant, sous la forme d’une polychromie sonore publicitaire, l’information désinformante organise, de loin en loin, des psychoses collectives autour de questions portant sur l’alimentation, la pollution, et autres problèmes capitaux qui, jouant plus sur l’étonnement (au sens étymologique du terme) que sur la réflexion, paralysent l’auditeur plus qu’elles ne le poussent à agir. Dès lors, la foule, bien qu’informée en apparence, mieux vaudrait dire apeurée, ne change en rien ses comportements et continue à faire tour-ner inutilement le moteur des voitures, à s’user dans les bouchons urbains, à gaspiller le papier et les sources d’énergie, pour le plus grand bonheur des grands industriels et de la Bourse, incapable qu’elle est, son indécrottable paresse intellectuelle aidant, de tirer quoi que ce soit d’une information trop souvent pensée pour avoir l’effet inverse de celui qu’elle devrait avoir, de faire le rapport entre un fait réel grave, mais virtualisé par la façon dont il est rapporté, et son comportement quotidien, incapable, donc, d’harmoniser le collectif et l’individuel ou le contraire.
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Il y a bien longtemps que je n’ai plus de télévision. Je ne tente de la regarder que lorsque je suis à l’hôtel ou chez des amis. En général mon essai, sauf si le hasard me fait tomber sur l’une des rares bonnes émissions qui existent encore, ne dure guère plus de dix minutes. Pourtant, par refus d’une condamnation définitive d’un médium qui pourrait être un prodigieux moyen de connaissance, je renouvelle de loin en loin l’expérience. L’autre jour, je suis tombé sur un jeu télévisé dont le décor, d’un kitsch d’une vulgarité rare, m’a fasciné, car le kitsch peut être fascinant. La femme qui jouait, et dont le présentateur disert et ses complices déguisés plutôt ignobles qu’on semblait avoir choisi pour leur laideur abjecte se jouaient, étaient une femme simple, une ménagère d’une quarantaine d’années visiblement inculte. Elle avait des yeux clairs et naïfs dans lesquels se reflétait le clinquant du décor. Une certaine beauté encore. Son fils, de sept ou huit ans, était dans la salle et, de temps en temps la caméra révélait son anxiété ou son enthousiasme. Les questions qu’on posait à cette femme étaient d’une parfaite stupidité, ne faisant appel à aucune connaissance ou intelligence particulière. Du genre : «Quel est le plus grand nombre d’opérations esthé-tiques subies par le même homme?». Genre de question à laquelle on ne peut répondre que par hasard. Les yeux de la femme s’affolaient. Les complices du présentateur, sous couvert de l’aider, la poussaient à l’erreur et, en douce, se moquaient d’elle. Le public guettait, mais elle ne le voyait pas, toute recroquevillée dans sa peur. Elle échoua à la question principale, mais eut droit à une question de rattrapage et gagna une modeste somme. Son fils se précipita dans ses bras et les yeux embués de la femme avaient quelque chose d’extasié sous le regard ironique du présentateur. J’ai éteint le poste, accablé. À quoi bon commenter, analyser une pareille saloperie?
Pourquoi s’étonner du monde comme il va, ou plutôt ne va pas, quand tout est fait pour décérébrer des gens qui sont censés, par le biais de suffrages aveugles, désigner ceux qui s’occuperont de leur sort ou, pire, grâce à la farce du référendum (les référendums sont en général adorés par ceux qui ont le goût du pouvoir personnel), répondre, un peu au hasard, comme ma joueuse, à des questions auxquelles ils ne comprennent rien ?
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Au fond, les années passant, je suis devenu un absent attentif. Attentif, oui, s’intéressant au monde et à son avenir, mais comme un spectateur regardant se dérouler une pièce dans laquelle il se voit jouer, étranger à lui-même. Je suis dans ce monde et en même temps je n’y suis pas. Je ne me sens plus en accord avec son déroulement. Je ne sais si c’est lui qui est fou, ou moi. Non, je ne suis pas fou, mais découragé. Mon âge m’a fait traverser des sommets historiques de l’horreur, mais j’ai le sentiment que cette horreur, qui se poursuit ailleurs et dont chaque jour les médias nous rebattent les oreilles, n’est plus incarnée. C’est une vague poussière colorée sur un écran et aussi, hélas, dans les esprits. Comme si les hommes ne vivaient plus que l’instant. Non pas le bon vieux carpe diem, qui voulait que l’on prît son temps dans la jouissance du jour en train de s’écouler, mais un instant fugace, haletant, replet de bruit, de hâte, de désirs compressés, un éclair qui abolit ce qui le précédait. De ma part, il ne s’agit pas de nostalgie, au contraire – rien ne me paraît plus idiot que de vouloir remonter le fleuve héraclitéen – plutôt s’agit-il de tristesse devant le peu d’imagination des hommes enfermé dans une fausse modernité. Car la vraie modernité, le vrai changement, mot employé à tort et à travers par des politiques parlant comme des robots, ce serait de savoir prendre son temps, ne serait-ce que pour réfléchir un peu ; mais un jeune premier ministre, fraîchement promu, n’a-t-il pas récemment prononcé, en substance, cette phrase mémorable : «Le temps presse, nous n’avons pas le temps de réfléchir.» Ce qui, de la part d’un chef de gouvernement, est pour le moins inquiétant.
Au vrai, je suis fatigué. Pas seulement par les soixante-dix-sept ans qui rendent mes os douloureux, mais par le poids de l’histoire, on ne saurait mieux dire. Oui, l’histoire des hommes est pesante et la répétition obstinée des mêmes erreurs. Cette sorte d’autisme universel qui fait ânonner aux sociétés, depuis le début des temps, les mêmes absurdités, mais des absurdités aujourd’hui décuplées par une technique dévoyée.
Certains me disent: «Regardez, tout va mieux. On guérit des maladies hier encore inguérissable, la peine de mort est de moins en moins appliquée, on se préoccupe du sort des animaux, etc.» Bien sûr, bien sûr, tout ça est magnifique, mais les inégalités sont infiniment plus grandes que par le passé, des peuples, qui autrefois vivaient à peu près en harmonie avec leur milieux, sont laminés par la faim, le chaos politique, l’exploitation des grandes puissances qui se présentent comme détentrices de la morale et qui, en principe, les ont décolonisés. Le milieu naturel est saccagé comme il ne l’a jamais été. Des mers s’assèchent. Le voyageur ne peut plus se désaltérer dans ruisseaux et rivières empoisonnés de mille façons. Certains gestes élémentaires sont devenus impossibles. La part du symbolique s’appauvrit. Les gens vivent enveloppés d’une incertitude, d’une inquiétude impalpables. Ils voudraient, les im-béciles, que le hasard n’existe plus, que l’impossible n’existe plus, et ce que je dis n’est pas le fruit de ma paranoïa mais une réalité. Je les regarde et ils m’affolent, et sans doute, si j’étais plus jeune, je partirais vers la solitude, dans la mesure où elle existe encore, mais je n’en ai plus le courage. Je me contente donc de me simplifier le plus possible, c’est tout. Je rédige tout de travers ces quelques notes pour faire une peu travailler mon cerveau avant qu’il ne perde ses facultés. Je ne cherche pas à leur donner quelque ordre que ce soit. Si deux ou trois personnes les lisent et y trouvent leur compte, tant mieux, si elles ne les lisent pas, quelle importance?
Malgré tout, malgré les constats désolants que je suis obligé de faire, et cet écrit rapide en est une preuve, je ne perds pas complètement espoir. Je me retiens encore au bord de la déréliction, et pas seulement parce que, chaque jour, je vais marcher dans la nature, mais parce que je rencontre des hommes conscients de la tromperie, y compris parmi les jeunes, qui tentent modestement, obscurément, de mettre en accord leurs discours et leurs actes. Ces hommes je les avais appelé les hommes du souterrain dans un petit livre aujourd’hui disparu, son éditeur ayant fait faillite, et les propos que je tenais alors, il y a plus de dix ans, je pourrais, à peine modifiés, les tenir encore.
«C’est au fond du désespoir, écrivais-je, que l’on trouve parfois un compagnonnage. Au fond. Dans ce trou, où, à la fois on tombe et l’on se réfugie. Ce souterrain comme de nouvelles catacombes, où l’on ne célèbre l’illusion d’aucun Dieu mais seulement quelques miettes de lucidité, un fragment de liberté sauvé du désastre et que l’on enferme dans un reliquaire de mots aux sens encore intacts.
Ici, dans une nuit et un silence accepté, des hommes cultivent la lenteur et la réflexion, tandis qu’au-dessus d’eux un brouhaha de vanité ne cesse de faire trembler la terre. Assis dans la quiétude isotherme semblable à celle où les premiers hommes traçaient leurs figures sibyllines, à l’autre bout de cette histoire où ils inventèrent la tache de sentir et de penser – l’une et l’autre action étant indissociables – nous vivons peut-être la fin de l’aventure d’une espèce suicidaire en célébrant ce qui, sauvegardé de l’incohérence, a teinte et saveur d’une relative éternité, les mots, précaires et acérés, derrière lesquels nous tendons notre résistance immobile.»
René Pons
22/10/2009