Demain

2
Pas à vous

Soit ! J’écris. Considérez que ce n’est pas à vous. Fini. Je ne vous parle plus; je renonce même à vous mentir. J’attends demain, rien d’autre, qu’il se lève ; qu’enfin j’en finisse et d’attendre et d’écrire ; qu’enfin on me tranche le cou. Dans la nuit où vous me détenez ce sera là ma danse incantatoire : m’y prendre avec demain selon notre coutume pour attirer les pluies, la sève, déchaîner le vent d’est ; malgré votre merci ce seront là mes rogations.
Je répète, voyez, et récidive : je ne vous écris pas. Entendez ! Pas à vous. Non plus à votre dieu ; j’insiste, à votre Dieu non plus ! Pourquoi donc le ferais-je puisqu’il est omniscient ?
Je ne m’adresse pas, comptez bien, aux nôtres davantage. À quoi bon, ils hibernent! Comme moi, désormais sous la terre, plus que moi impuissants ; mais très profond dessous la terre, bien bas, au très rouge, au très chaud, eux ; aux entrailles.
Le Monde les a chassés. Qu’y feraient-ils encore, dans ce Monde économe, dans ce Monde qui marche et veut aller tout droit ? Ils y languiraient trop, eux qui sont si farceurs, eux qui n’aiment rien tant que jouer, guerroyer et séduire ; eux qui sont si prodigues ils y dépériraient ! Et leurs gorges exquises ne sauraient respirer l’air du temps.
Soit ! Je n’écris à personne et je sais d’évidence que tout sera détruit. Alors, à quoi bon sensément irriter vos beaux yeux à me lire ? Quoi qu’il advienne, et ne vous en déplaise, il vous faudra céder, vous finirez par m’octroyer le jour ; on vous y forcera. Si, si, vous verrez ! Je les connais par coeur – n’ai-je pas été leur fils et leur pire ennemi ? – ils sont pusillanimes ; moins patients en tout cas, Madame, que nous ne le serions.
Non! Croyez-moi, inutile de lire ; et puis ce sera, je vous jure, sans aucun intérêt. Je vais user jusqu’à la délivrance, épuiser cette nuit que vous tenez en perce ; ne pas m’y abîmer. Je vais me souvenir, invoquer, rien de plus.
Mon peuple m’a condamné. On lui a dévolu ce soin. Mon peuple ! Qu’est-ce à
dire ? Ceux qui m’ont acclamé, conspué, m’ont porté sur le trône, ont réclamé ma tête ? Eux tous qui m’ont aimé, admiré au combat et honni ; et qui m’aiment encore alors qu’ils me honnissent? Qui m’admirent toujours pendant qu’ils me conspuent ? Tous ceux-ci qui m’ont craint, qui ne m’oublieront pas, font déjà ma légende ? Qui me craindront encore quand leurs yeux auront vu ma tête valdinguer ? Mon peuple !

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