La Seconde Vie de Clément Garcin

Il se tient droit, ferme. Il fait abstraction de la foule qui grouille derrière lui. Il est concentré sur son geste. La tête légèrement rentrée dans les épaules. Le bras qui se tend dans un froissement de tissu. Et ce corps nu que son geste asperge de lumière. Il faut du temps pour s’habituer à la pénombre qui entoure les deux hommes, pour distinguer les mouvements affolés des témoins, des proches, qui soutiennent. Qui retiennent. L’homme nu est en train de se relever. À moins qu’il ne soit en train de tomber. En tout cas, son corps ne lui appartient pas, sa tête est renversée en arrière, ses membres lâches. Sauf… sauf peut-être sa main droite. Oui, évidemment, sa main droite ! Elle émerge tout juste au-dessus de la ligne de crête dessinée par les têtes des badauds. Elle capte un faible rayon de lumière, au centre même de la pièce. À bien y réfléchir, on ne voit qu’elle. Et pourtant on ne la remarque pas. Oui, cette main…
Mon Antoine, je viens d’assister à un crime. Un crime qui ne dit pas son nom, perpétué au fil des siècles devant des millions de spectateurs impassibles. Jusque-là je me suis laissée, comme tout le monde j’imagine, étourdir par l’histoire – l’histoire religieuse, l’histoire de l’art, ces deux monstres emmêlés qui viennent du fond des tableaux cueillir l’œil de celui qui regarde. Jusque-là, je pensais savoir, mais j’ignorais tout. Je n’avais rien vu avant d’entrer au musée national de Messine et de faire face à ce crime. Maintenant, je vois.

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